Opération Urgent Fury: l'intervention américaine sur l'île de la Grenade

Urgent Fury est le nom de code de l'intervention américaine sur l'île de la Grenade, située dans la Mer des Caraïbes à environ 160km au nord-est du Venezuela. Faisant suite à un coup d'Etat en 1983, ayant placé à sa tête un Comité Révolutionnaire marxiste, cette intervention permet de libérer des centaines d'otages (essentiellement des étudiants) occidentaux et de restaurer un gouvernement constitutionnel légitime. Malgré le fait que les Etats-Unis ont agit après une demande d'assistance des Etats Américains (Organisation of American States, OAS), les médias européens ont propagé une image fausse et négative, la comparant à une "invasion", car elle était critiquée par l'Assemblée Générale des Nations-Unies, le Canada, et le Royaume-Uni. En outre, les Etats-Unis voyaient d'un très mauvais oeil la présence dans l'île de "conseillers militaires" cubains et leur projet d'agrandissement de l'aéroport de Pointe Salines.

La Grenade gagne son indépendance de la Grande-Bretagne en 1974. Après un coup d'Etat en 1979, mené par le marxiste Maurice Bishop et son Mouvement New JEWEL (NJM), pour "Joint Endeavour for Welfare, Education, and Liberation", un "Gouvernement Révolutionnaire du Peuple de la Grenade" prend le pouvoir. En 1983, Bishop est lui-même renversé (et exécuté) par une branche dissidente et extrémiste de son propre parti, dirigée par Hudson Austin, lequel fait arrêter et emprisonner des centaines de ressortissants et d'étudiants étrangers, dont une majorité de citoyens américains.

La Force de déploiement rapide de l'US Army (82ème Division aéroportée, 1er et 2ème Bataillons de Rangers), la Force Delta et des Navy SEALs, ainsi que la 22ème Unité Amphibie de Marines et diverses unités de soutien et de logistique, sont engagées, soit au total 7,600 hommes. 353 soldats et policiers jamaïcains et du Système de Sécurité Régional (RSS), selon un accord de défense et de sécurité communes des Etats Caraïbes, prennent également part à l'intervention. La dictature d'Hudson Austin est renversée et remplacée par un gouvernement de transition constitué par le Gouverneur-Général Paul Scoon, en attendant les élections de 1984.

La date de l'intervention américaine, le 25 octobre 1983, est célébrée dans l'île comme jour de fête et désignée Thanksgiving Day ("Jour de Grâce") par ses habitants. L'aérodrome de Pointe Salines est rebaptisé en l'honneur du Premier ministre Maurice Bishop assassiné. Cette intervention a notamment permis de développer une plus efficace coopération et coordination entre les différents services des forces armées des Etats-Unis, et aboutit à une réorganisation du Département de la Défense grâce au Goldwater-Nichols Act, du nom des deux sénateurs qui ont initié le projet de loi.




Localisation géographique.

La Grenade est une île de la Mer des Caraïbes, située au sud-ouest de Saint-Vincent et les Grenadines, et à environ 160km au nord-est des côtes vénézueliennes et de Trinadad et Tobago. Elle couvre une superficie de 344km² et compte une population d'environ 110,000 habitants. Sa capitale est Saint-George. Elle est également surnommée l'"Ile aux Epices", car elle est l'un des principaux exportateurs mondiaux de fleurs et de noix de muscade. Elle fait partie du groupe d'îles Grenadines. Celui-ci fait lui-même partie d'un ensemble plus vaste encore, les Iles Windwards.



Un peu d'histoire.

1° Période coloniale française (1649-1763).

Le 17 mars 1649, une expédition navale de 203 hommes, venant de la Martinique et dirigée par Jacques du Parquet, fonde une colonie permanante sur l'île de la Grenade. En quelques mois, ils entrent en conflit et chassent les insulaires. En 1654, l'île est entièrement occupée et soumise par les Français. Les indigènes qui ont survécu fuient et s'installent sur les îles voisines, ou dans des lieux reculés de la Grenade, où ils sont marginalisés et persécutés. La dernière communauté indigène disparait au début du 18ème siècle.

L'économie de l'île est initialement axée sur la cane à sucre et l'indigo. Les colons français fondent la capitale Fort Royal en 1650. Pour se protéger des ouragans, les navires profitent du port naturel de la ville et y font très souvent escale.

Les Britanniques s'emparent de la Grenade en 1762, au cours de la Guerre de Sept ans, et rebaptisent Fort Royal "Saint-George".


2° Période coloniale britannique (1763-1974).

La Grenade est formellement cédée à l'Empire britannique selon les termes du Traité de Paris en 1763. La France capture l'île durant la Guerre d'Indépendance américaine, après la Bataille de la Grenade en 1779. Cependant, la Grande-Bretagne en reprend le contrôle après le Traité de Versailles en 1783. Les Anglais répriment ensuite une révolte pro-française en 1795-1796, dirigée par Julien Fedon.

La noix de muscade est introduite sur la Grenade en 1843, lorsqu'un navire marchant mouille dans le port de Saint-George, lors de son périple ente les "Indes occidentales" (Antilles) et l'Angleterre. C'est le début de l'industrie des épices, qui représente aujourd'hui 40% des exportations mondiales de muscade.

En 1877, la Grenade devient une "Colonie de la Couronne britannique" (Crown Colony) membre du Commonwealth. Le "Gouverneur-Général" de l'île représente la Couronne et la Reine d'Angleterre. Theophilus A. Marryshow fonde l'"Association du Gouvernement Représentatif" (RGA) en 1917, pour mener une campagne d'agitation et obtenir la création d'une participation constitutionnel de la population grenadine. Il en résulte le "Groupe de pression" (Lobbying) Marryshow, la Commission Wood (1921-1922) concluant que l'île est prête pour une réforme constitutionnelle et un remaniement du gouvernement colonial local. Ces modifications garantissent aux Grenadins leurs droits pour élire 5 des 15 membres du Conseil législatif, une franchise restreinte de la propriété établissant le droit de vote pour les 4% d'habitants les plus riches.

Photo ci-dessous: Saint-George en 1890.



3° Vers l'indépendance (1763-1974).

En 1950, Eric Gairy fonde le "Parti des Travailleurs Unis de la Grenade" (GALP), qui se bat pour de meilleures conditions de travail. C'est le début d'une vague de contestations, de manifestations populaires et de grèves générales ouvrières, d'une période d'instabilité politique appelée "Jour du Ciel Rouge". Les autorités britannique de tutelle renforcent leur présence militaire pour rétablir l'ordre.

Le 10 octobre 1951, la Grenade organise sa première élection au suffrage universel. Le parti de Gairy obtient 6 des 8 sièges du Conseil Légeslatif. De 1958 à 1962, l'île est membre de la "Fédération des Indes Occidentales".

Le 3 mars 1967, elle obtient son entière autonomie sur les affaires intérieures, en tant qu'"Etat associé". Herbert Blaize, du Parti National Grenadin (GNP), devient "Premier" de l'Etat Associé de la Grenade en août 1967. Eric Gairy (GALP) lui succède à ce poste jusqu'en février 1974.


4° Indépendance et révolution (1974-1983).

L'indépendance entière de la tutelle de la Couronne britannique est obtenue en 1974, sous le gouvernement d'Eric Gairy, qui devient dès lors le premier Premier ministre de la Grenade. Des conflits sociaux et des affrontements éclatent entre Eric Gairy et une partie de l'opposition radicale, dont le New Jewel Movement (NJM), un parti d'obédience marxiste-léniniste. Gairy remporte les élections de 1976, mais l'opposition n'accepte pas les résultats, l'accusant de fraudes.

En 1979, le NJM, dirigé par Maurice Bishop, déclenche une révolution armée contre le gouvernement de Gairy, qui entraîne le chute de ce dernier, suspend la constitution et établit le "Gouvernement Révolutionnaire du Peuple" (PRG), sous l'autorité de Bishop qui se déclare lui-même Premier ministre. Son gouvernement marxiste établit aussitôt des relations diplomatiques et commerciales avec Cuba, le Nicaragua et les autres pays du bloc communiste.

Le 14 octobre 1983, une lutte de pouvoir à l'intérieur du gouvernement entraîne l'arrestation de Maurice Bishop, sur ordre de son vice-Premier ministre, Bernard Coard, lequel est soutenu par l'armée grenadine. Après ce second coup d'Etat, Coard devient le nouveau chef du gouvernement. Bishop parvient à s'évader, mais il est bientôt repris. Il est exécuté, avec sept autres membre de son cabinet ministériel, le 19 octobre.

Ce même jour, l'armée commandée par le général Hudson Austin fomente un troisième coup d'Etat, renverse Bernard Coard et installe une dictature militaire. Pendant quatre jours, il instaure la loi martiale, en déclarant que quiconque arrêté à l'extérieur durant le couvre-feu sera passible d'une exécution sommaire. Enfin, il fait arrêter des centaines de ressortissants étrangers, essentiellement des étudiants américains en médecine de l'Université Saint-George, les regroupe et les fait garder sur le campus ou dans l'aéroport de Pointe-Salines.

La réponse et la riposte des Etats-Unis et des Etats Caraïbes ne se fait pas attendre. Le 25 octobre 1983, les forces américaines et alliées envahissent la Grenade, où les militaires et des travailleurs cubains présents dans l'île ont commencé à renforcer l'aérodrome de Pointe Salines, à l'extrêmité sud-ouest de l'île.


Déclenchement de l'opération Urgent Fury.

Suite à la série de coups d'Etat qui se sont succédés dans l'île de la Grenade entre 1979 et 1983, à l'instabilité politique et au climat de guerre civile, mais surtout après l'instauration de la dictature militaire du général Hudson Austin le 19 octobre 1983, l'Organisation des Etats Caraïbes de l'Est (OECS), ainsi que la Barbade et la Jamaïque, adressent formellement une demande d'assistance aux Etats-Unis (1). Selon un reporter du New York Times, cette demande est adressée au gouvernement américain, qui a déjà pris la décision d'intervenir. Washington se sert du prétexte du meurtre de Maurice Bishop et de l'arrestation et la sequestration de citoyens américains dans l'Université de Saint-George, pour lancer une opération militaire visant à renverser Austin et libérer les otages. Le journaliste révèlera plus tard que le "Gouverneur-Général" de la Grenade, Sir Paul Scoon, a requis l'intervention militaire américaine au travers de canaux diplomatiques secrets.

Le 25 octobre 1983, la Grenade est donc "envahie" par une force combinée des Etats-Unis et du "Système de Sécurité Régional" (RSS) des Etats Caraïbes, partie de la Barbade. L'opération a reçu le nom de code d'"Operation Urgent Fury" (Fureur Urgente). Les Etats-Unis déclarent que ce déploiement de forces se fait également avec l'approbation des Premiers ministres de la Barbade et de la République Dominicaine, respectivement Tom Adams et Dame Eugenia Charles. Cependant, l'intervention est sévèrement critiquée par le Canada, le Royaume-Uni et Trinidad et Tobago. L'Assemblée Générale des Nations-Unies la condamne le 2 novembre en tant que "violation flagrante des lois internationales" (2), par un vote de 108 en faveur contre 9, avec 27 abstentions. Le Conseil de Sécurité tente d'émettre une Résolution en ce sens, mais son vote est bloqué par le veto des Etats-Unis.

Photo ci-dessous: des policiers et des militaires de la Force de Défense des Caraïbes occidentales se déploient sur l'île de la Grenade le 3 novembre 1983.



(1) Cole, Ronald (1997). "Operation Urgent Fury: The Planning and Execution of Joint Operations in Grenada" Retrieved 9 November 2006.

(2) United Nations General Assembly Resolution 98/7. United Nations. 2 November 1983.



1° Aéroport international de Pointe Salines.

Au cours des années précédentes, le gouvernement de Maurice Bishop a entrepris la construction de l'Aéroport International de Pointe Salines, à l'extrémité sud-ouest de l'île, avec l'aide de la Grande-Bretagne, de Cuba, de la Libye, de l'Algérie et d'autres pays. L'idée même de cet aéroport est proposé par le gouvernement britannique en 1954, lorsque la Grenade était encore une de ses colonies. Après 1979, le gouvernement américain accuse la Grenade de l'intention d'établir ou de renforcer la présence ou l'influence soviétique et cubaine dans les Caraïbes. L'allongement de la piste (2,700 mètres) servant aux avions Antonov An-12, An-22 et An-124 pour acheminer des armes aux divers mouvements de guerilla communistes en Amérique Centrale. Bishop rétorque que l'aéroport de Point Salines ne sert et ne servira que pour l'aviation de transport commercial, pour le tourisme, en faisant remarquer que les longs-courriers ne peuvent actuellement pas se servir de l'aéroport de Pearl, dont la piste (1,200m) est trop courte et le relief montagneux au nord de l'île trop dangereux.

En mars 1983, le président Ronald Reagan commence à tirer la sonnette d'alarme, en attirant l'attention sur une menace potentielle contre les Etats-Unis, sur une "militarisation" des Caraïbes par l'Union Soviétique et Cuba, l'aéroport de Pointe Salines mettant potentiellement le territoire américain à portée de leurs bombardiers lourds Tu-26 Backfire, capable d'emporter des armes nucléaires. Il déclare que l'allongement de piste et la construction de nouveaux réservoirs de carburant n'est pas nécessaire à l'aviation civile, et qu'à l'évidence l'aéroport deviendra une base militaire cubaine et/ou soviétique.

Photo ci-dessous: la piste de l'aéroport de Pointe Salines (Punta Salinas) en mars 2010.



2° Invasion.

L'Opération Urgent Fury débute le 25 octobre 1983 à 5h du matin, lorsque le corps expéditionnaire américain quitte la Barbade et fait route vers la Grenade. C'est la première opération militaire majeure américaine depuis la fin de la Guerre du Vietnam, une décennie plus tôt. Le vice-amiral Joseph Metcalf III, le commandant de la 2ème Flotte assignée à cette partie du globe, assume le commandement de la Joint Task Force 120, une force combinée qui comprend des éléments des quatre services des forces armées américaines: US Army, US Air Force, US Navy et US Marine Corps. Au total un effectif de 7,600 hommes. 353 soldats et policiers des Etats Caraïbes s'y joignent. 1,500 soldats grenadins et environ 700 Cubains sont présents dans l'île.




Les Marines de la 22nd MEU (en provenance du Liban) et la Task Force TF.20.5, autour du groupe de bataille de l'Independence (CV-62), interviennent à partir de 6h. Les hélicoptères AH-1T Sea Cobra du Squadron HMA-269, partis du navire d'assaut amphibie Guam (LPH-9), élimine d'abord les positions de défenses aériennes (mitrailleuses lourdes et canon AA d'origine russe) dans le secteur Pearl-Granville. Interviennent ensuite les hélicoptères de transport CH-53 Stallion du Squadron HMM-261 et les barges de débarquement de l'USS Guam (LPH-9), de l'USS Barnstable County (LST-1197), de l'USS Manitowoc (LST-1180), de l'USS Fort Snelling (LSD-30) et de l'USS Trenton (LPD-14). En deux heures, après une résistance modérée de l'"Armée Révolutionnaire Populaire" (PRA), les Marines occupent et sécurisent Pearl et Grenville. Le troisième jour, alors que la 22nd MEU ne représente que 25% des forces américaines engagées, elle contrôle déjà les trois quarts de l'île: c'est-à-dire le nord et le centre.

Sur la cote occidentale de la Grenade, les Navy SEALs "Team Six" sont parachutés au nord de la capitale Saint-George, avec pour mission de s'emparer de la station radio de la ville et de la résidence du Gouverneur Général, où ils rencontrent une opposition armée notable.

A partir de 5h40, à l'extrêmité sud-ouest de l'île, la 82ème et les 1er et 2ème Bataillons de Rangers interviennent par assaut aéroporté à partir de C-130 Hercules de l'US Air Force. 800 parachutistes et les Rangers s'emparent de l'aérodrome de Pointe Salines, et à la tombée du jour, ils atteignent Saint-George, où la 82ème Division aéroportée libère les otages occidentaux détenus sur le campus de l'université.

Photos ci-dessous: 1° l'assaut aéroporté du 2ème Bataillon de Rangers sur l'aéroport de Pointe Salines, à l'aube du 25 octobre 1983. 2° Des étudiants américains, après leur libération, attendent leur rapatriement vers les Etats-Unis.




A l'aube du troisième jour, les Marines et le 2ème Bataillon de Rangers, qui ont effectué leur jonctions, prennent d'assaut les positions (très bien défendues) de la PRA à Fort Adolphus, Fort Matthew et sur la Colline de Richmond. La 82ème Division s'empare des casernes de la PRA à Calivigny. Au cours de ces combats, trois AH-1T Sea Cobra de la 22nd MEU sont abattus.

Au cours des jours qui suivent, les Américains éliminent les quelques poches de résistance qui subsistent. Le 2 novembre 1983, tous les objectifs militaires ont été sécurisés et la dictature du général Hudson Austin renversée. Les Etats-Unis ont affrontés environ 1,200 soldats grenadins de la PRA ainsi que 780 Cubains. Leurs pertes s'élèvent à 19 tués et 106 blessés.

Le lendemain 3 novembre 1983, les troupes américaines entament leur retrait de l'île et sont remplacés par les 353 policiers et militaires de la "Force de Paix des Caraïbes" (ECPF). Celle-ci y restera jusqu'en juin 1985.

Photo ci-dessous: bombardement des casernements de la PRA à Calivigny.


Au cours des combats, Cuba a perdu 25 tués, 59 blessés et 638 prisonniers capturés. Les Américains capturent également 49 Soviétiques, 24 Nord-Coréens, 16 Allemands de l'Est, 14 Bulgares et 4 Libyens.

Photo ci-dessous: un A-7E Corsair II de l'Independence en mission de soutien aérien au-dessus de Pointe Salines. Octobre 1983.





3° Ordre de bataille américain.

Liste non exhaustive des unités américaines ayant participé à l'opération Urgent Fury:
  • US Army:
    • 1er Bataillon de Rangers, 75ème Régiment de Rangers. Hunter Army Airfield, Géorgie.
    • 2ème Bataillon de Rangers, 75ème Régiment de Rangers. Fort Lewis, Washington.
    • 1er Bataillon, 505ème Régiment de parachutistes, 82ème Division aéroportée. Fort Bragg, Caroline du Nord.
    • 2ème Bataillon, 505ème Régiment de parachutistes, 82ème Division aéroportée. Fort Bragg, Caroline du Nord.
    • 1er Bataillon, 508ème Régiment de parachutistes, 82ème Division aéroportée. Fort Bragg, Caroline du Nord.
    • 2ème Bataillon, 508ème Régiment de parachutistes, 82ème Division aéroportée. Fort Bragg, Caroline du Nord.
    • 325ème Régiment d'infanterie aéroportée, 82ème Division aéroportée. Fort Bragg, Caroline du Nord.
    • 320ème Régiment d'artillerie aéroportée, 82ème Division aéroportée. Fort Bragg, Caroline du Nord.
    • Unité de soutien (médical, police militaire, ...) 82ème Division aéroportée. Fort Bragg, Caroline du Nord.

    Photo ci-dessous: l'interverntion américaine représente la première mission opérationnelle du nouvel hélicoptère utilitaire UH-60 Black Hawk. Ici des UH-60A au-dessus de l'aérodrome de Pointe Salines, le 25 octobre 1983.


  • US Air Force:
    • US Air National Guard (soutien aérien). A-7E Corsair II.
    • 23ème Wing Tactique Aérien (chasse/interception). F-15 Eagle.
    • 33ème Wing Tactique Aérien (soutien aérien). A-10 Thunderbolt II.
    • 437ème Wing de Transport Aérien. C-141 StarLifter.
    • 317ème Wing de Transport Aérien. C-130 Hercules.
    • 16ème Wing des Opérations Spéciales. AC-130 Spectre.
    • 63ème Wing de Transport Aérien. Unités de police et de sécurité aérodrome.
    • 19ème Wing de Ravitaillement Aérien. KC-135 Stratotanker.

  • US Navy:
    • Task Group 20.5 (Independence Battle Group): USS Independence (CV-62). Norfolk, Virginie.
    • Wing Aéronaval Six (CVW-6): VF-32 et VF-34 (F-14A Tomcat), VA-15 et VA-87 (A-7E Corsair II), VA-176 (A-6E Intruder).
    • Groupe Amphibie Quatre: USS Guam (LPH-9), USS Trenton (LPD-14), USS Fort Snelling (LSD-30).
    • US Navy SEALs Team 4. Little Creek, Virginie.
    • US Navy SEALs Team 6. Virginia Beach, Virginie.

  • US Marine Corps:
    • 22ème Unité Expéditionnaire de Marines (22 MEU). Camp Lejeune, Caroline du Nord.
    • Marine Medium Helicopter Units HMM-261 (USS Guam): CH-53D Sea Stallion et CH-46D Sea Knight.
    • Marine Attack Helicopter Units HMA-269 (USS Guam): AH-1T Sea Cobra.

    Photo ci-dessous: un CH-53D Sea Stallion du Marine Medium helicopter Squadron HMM-261 (USS Guam) se pose à côté d'un canon AA ZU-23 abandonné dans l'île de la Grenade, en octobre 1983.



L'île de la Grenade après 1983.

Les troupes américaines entament leur retrait dès le 3 novembre 1983, les derniers soldats (des policiers militaires intégrés au sein de la Force de Maintien de la Paix des Caraïbes) quittant la Grenade le 15 décembre. Le 25 octobre, jour du début de l'intervention, est déclarée "jour de fête férié" par la population de l'île, et baptisé Thanksgiving Day ("Jour de Grâce"). Sur le campus True Blue de l'université de Saint-George, est érigé un monument commémoratif à mémoire des 19 Américains tués durant l'opération Urgent Fury, marquant chaque année depuis, la célébration du souvenir.

Photo ci-dessous: monument commémoratif de l'intervention américaine sur le campus universitaire de Saint-George.


En 2008, la Grenade annonce son intention d'ériger un monument commémoratif des soldats cubains tués durant l'opération Urgent Fury. Mais jusqu'à présent, les gouvernements cubain et grenadin ne se sont encore pas décidé sur l'emplacement exact de ce monument.

Après le retrait américain, Sir Paul Scoon constitue et prend la tête d'un gouvernement de transition, en attendant les premières élections législatives démocratiques, en décembre 1984. Ces élections sont remportées par le Parti National Grenadin, et Herbert Blaize devient le nouveau Premier ministre. Il reste à ce poste jusqu'en décembre 1989. Ben Jones lui succède jusqu'aux élections de mars 1990, qui voient la victoire du Congrès Démocratique National de Nicholas Braithwaite. Ce dernier occupe le poste de Premier ministre jusqu'au terme de son second mandat, en février 1995. George Brizon lui succède jusqu'en juin de cette année.

Scoon occupe le poste de Gouverneur-Général (représentant de la Couronne britannique) du 30 septembre 1978 jusqu'au 6 août 1992. Lui succèdent Sir Reginal Palmer (6 août 1992 - 8 août 1996), Sir Daniel Williams (9 août 1996 - décembre 2008) et Dame Cécile La Grenade (décembre 2008 - Présent), la première femme désignée à ce poste.

Photo ci-dessous: Sir Paul Scoon en 1983.


Pendant les treize années qui suivent (un record de longévité dans cette île), le poste de Premier ministre est occupé par Keith Mitchell, du Nouveau Parti National. En 2008, les élections sont remportées par le Congrès Démocratique National et Thillman Thomas. En 2013, celui-ci cède son poste au Nouveau Parti National de Keith Mitchell, qui remporte tous les 15 sièges du Conseil législatif.

Le général Hudson Austin, arrêté en octobre 1983, est jugé par la Justice grenadine pour le meurtre de Maurice Bishop et l'instauration d'une dictature militaire, et pour sa répression contre le peuple grenadin. Il est condamné à mort en 1986, mais cette sentence sera plus tard commuée en prison à vie. Il est cependant relâché le 18 décembre 2008. Bernard Coard est jugé pour avoir ordonné l'exécution de Bishop, en août 1986. Il est lui-aussi condamné à mort, et en 1991 sa peine est commuée en prison à vie. Lui aussi est libéré, quelques mois plus tard.

Le 7 septembre 2004, pour la première fois depuis quarante-neuf ans, la Grenade est touchée par un ouragan (Ivan) de catégorie 3 (des vents soufflant jusqu'à 250 km/h), qui détruit ou endommage 90% des maisons et des bâtiments de l'île, les dommages étant estimés à 110 millions de dollars. L'industrie agricole, et en particulier les récoltes de noix de muscade, souffrent énormément de ses dommages. Le secteur du tourisme, grâce à la construction d'hôtels et de nouvelles infrastructures, est lui en plein essort.


Article modifié le 22 janvier 2014.


Sources principales:
Invasion of Grenada (Wikipedia.org)

Opération Neptune Spear: la traque et l'élimination de Ben Laden

Osama Ben Laden, le fondateur et le dirigeant de l'organisation terroriste islamiste Al Qaida, est tué au Pakistan dans la nuit du 2 mai 2011 peu après 1h du matin, heure locale PKT, ou le 1er mai vers 20h (GMT), par une équipe des Navy SEALs désignée DEVGRU (US Naval Special Warfare Development Group) ou plus communément "Team Six", chargée des opérations de contre-terrorisme, une mission similaire à celle de son homologue de l'armée de terre, la Delta Force, au sein du commandement interarmes SOCOM.

La mission d'élimination, désignée sous le nom de code d'Opération Neptune Spear (le "Trident de Neptune"), en référence au trident sur le badge des SEALs, est menée en coopération avec des opérateurs/coordinateurs de la CIA et des hélicoptères de l'US Army. Elle vise la résidence où est supposé se trouver Ben Laden à Abbottabad, une petite ville située à environ 65km au nord-est de la capitale Islamabad. Après le raid, des échantillons d'ADN sont prélevés pour identification, et le cadavre est immergé en mer vingt-quatre plus tard, par l'USS Carl Vinson et dans le respect des rites funéraires musulmans, la localisation étant gardée secrète pour éviter que des djihadistes ou des islamistes ne s'en servent comme lieu de recueillement ou de dévotion.

Al Qaida confirme la mort de son chef historique quatre jours plus tard, le 6 mai, et jure de se venger. D'autres groupes islamistes, comme les Talibans opérant au Pakistan, font des déclarations similaires à la presse. L'annonce de sa mort au peuple américain, déclenche aux Etats-Unis une explosion de joie, mais elle est condamnée par plusieurs pays, dont Cuba et le Venezuela, ainsi que par le président de l'Autorité palestinienne, Ismail Haniyeh, et l'administration du Hamas dans la Bande de Gaza. La question de la légalité de cette opération est également remise en question par plusieurs organisations non-gouvernementales dans le monde entier, dont Amnesty International et la Ligue Internationale de Défense des Droits de l'Homme de l'ONU. La décision prise par le gouvernement américain de ne pas publier les photographies du corps ou les résultats des tests ADN, entraîne presque aussitôt toute une série de controverses et de théories de complot fantaisistes.

Le rapport d'enquête et d'investigation des autorites pakistanaises, sous l'égide de la "Commission Abbottabad" menée par le ministère de la Justice et le Premier ministre de ce pays, Hawaz Sharif, chargée de mettre en lumière les zones d'ombre et les circonstances exactes de la mort de Ben Laden, rend ses conclusions deux ans plus tard. Et malgré les tentatives d'Islamabad de le garder secret et de l'enterrer dans un tirroir de la bureaucratie, ce rapport est publié par la chaine Al Jazeera le 8 juillet 2013.




Contexte historique.

Deux jours après les attentats du 11 septembre 2001, George W. Bush déclare: "Le plus important pour nous est de chercher et de trouver Ben Laden." Il ajoute: "C'est notre priorité absolue, et nous ne nous arrêterons pas avant de l'avoir retrouvé."

Le 3 juillet 2006, la CIA annonce qu'elle a constitué, fin de l'année précédente, une équipe chargée exclusivement de cette tâche, et désignée sous le nom de code Alex Station. L'agence de renseignement déclare que cette traque est classée "hautement prioritaire".

En 2008, lors d'un débat de la campagne présidentielle l'opposant au candidat républicain John S. McCain, Barack Obama déclare: "... Et si nous localisons Ben Laden au Pakistan et que le gouvernement pakistanais se montre incapable de l'arrêter et de nous le livrer, alors j'estime que nous nous passerons d'eux et que nous irons le chercher nous même. Nous allons éliminer Ben Laden et écraser Al Qaida." Dans les faits, Obama fait remarqué qu'il est disposé, s'il y est forcé, de se passer des autorisations du gouvernement pakistanais et d'intervenir sur son territoire sans son accord. En clair, d'accomplir "un acte de guerre envers un pays supposé allié ou ami". C'est une déclaration singlante qui peut entrainer des graves conséquences politiques.


Objectif: localiser Ben Laden.

Les efforts de la communauté américaine du renseignement pour déterminer l'emplacement d'Osama Ben Laden, qui conduiront finalement à l'opération Neptune Spear, débute en 2002 avec diverses informations fragmentaires obtenues lors d'interrogatoires de membres d'Al Qaida ou de Talibans détenus au Camp Delta, dans la base navale de Guantanamo Bay à Cuba, ou dans des prisons afghanes. Ces renseignements finissent par aboutir, en août 2010, à la localisation d'une résidence suspectée d'abriter l'ennemi public n°1 des Etats-Unis, à Abbottabad, une ville provinciale située à environ 65km au nord-est d'Islamabad. Dès lors, ce domaine est placé sous haute surveillance constante.



1° Identifier le messager personnel de Ben Laden.

L'identification des messagers d'Al Qaida est une priorité pour les interrogateurs de la CIA dans le camp de détention de Guantanamo, tout simplement parce que les communications entre Ben Laden et ses principaux lieutenants ne s'effectuent plus que de cette manière basique. Depuis 1998, quand des missiles américains avaient éliminés des cibles en Afghanistan et au Soudan grâce à l'interception et le repérage de leurs conversations par téléphones satellites ou portables, Ben Laden ne les utilise plus.

En 2002, les interrogateurs obtiennent, à partir des aveux de Mohammed al Qahtani, un membre d'Al Qaida arrêté à Tora-Bora le 21 novembre 2001, le nom de guerre d'un de ces messagers: Abu Ahmed al-Kuwaiti (à ce moment les Américains ignorent encore sa véritible identité), qui fait également partie, semble-t-il, des proches du Saoudien au sein du cercle intérieur de son organisation.

En 2003, Khaled Sheik Mohammed, le Chef des Opérations d'Al Qaida arrêté à Rawalpindi le 1er mars, affirme qu'il connait lui aussi al-Kuwaiti et lui sert pour transmettre des courriers jusqu'à Ben Laden, tout en déclarant que le messager n'est pas membre actif d'Al Qaida.

En 2004, un autre prisonnier détenu à Guantanamo, Hasan Ghul, membre d'Ansar al-Islam opérant en Irak, révèle et confirme aux interrogateurs américains que Ben Laden se sert exclusivement d'un messager de confiance surnommé al-Kuwaiti. Celui-ci sert essentiellement d'intermédiaire entre Ben Laden et le successeur de Sheik Mohammed, Abu Faraj al-Libbi. Ghul révèle, comme les Américains le suspectent fortement, qu'al-Kuwaiti vit dans la même maison que Ben Laden. Mais confronté aux déclarations de Ghul, Sheik Mohammed maintient sa version originale. Ce dernier et al-Libbi, arrêté à son tour à Mardan, au nord de Peshawar, le 2 mai 2005, minimisent l'importance et la place d'al-Kuwaiti au sein d'Al Qaida. Face à ces versions contradictoires, les Américains se mettent à douter que le messager fait bien partie du cercle intérieur de l'organisation terroriste.

En 2007, enfin, la CIA prend enfin connaissance de la véritable identité d'al-Kuwaiti, information qui sera en 2011 confirmée par le Pakistan: Ibrahim Saeed Ahmed, originaire de la Vallée du Swat, près de la frontière afghane. Lui et son frère vivraient avec leur famille respective dans la résidence de Ben Laden, quelque part dans cette région.

En 2010, grâce aux interceptions de conversations téléphoniques d'al-Kuwaiti, la CIA parvient, après presque huit ans de recherches et d'échecs, à le localiser. Les opérateurs de la CIA le surveillent et le suivent discrètement pendant plusieurs mois, si bien qu'il finit par les mener à une résidence d'Abbottabad, une ville de moyenne importance à environ 65km au nord-est de la capitale, Islamabad. La superficie inhabituelle de la propriété, sept ou huit fois plus importante que celles des habitations voisines, et les mesures strictes de sécurité qui y règnent, mettent tout de suite la puce à l'oreille des analystes de la CIA, à Langley en Virginie. En août de cette année, ce domaine est placé sous haute surveillance constante, à la fois par des moyens humains (visuels) et photographiques (satellites et drones d'observation). Une série de tentatives pour identifier avec précision les personnes présentes n'aboutissent pas, bien que les Américains soient sûrs à plus de 80% que Ben Laden s'y trouve. Et cette situation n'évolue plus pendant les mois suivants.

Ci-dessous: trois des membres d'Al-Qaida, dont les interrogatoires ou la surveillance conduiront les Américains jusqu'à Ben Laden. De gauche à droite, 1° Abu Faraj al-Libby. 2° Khalid Sheik Mohammed. 3° Abu Ahmed al-Kuwaiti.



2° La résidence de Ben Laden à Abbottabad.

La CIA utilise des photos de surveillance venant de drones ou de satellites, des logiciels de "reconnaissance faciale", des observations visuelles et des rapports de renseignement pour déterminer avec exactitude l'identité des habitants de la résidence d'Abbottabad où l'a conduit le messager d'Al Qaida. En septembre 2010, l'Agence parvient à la conclusion, avec plus de 85% de certitude, qu'elle abrite Ben Laden. Celui-ci y vivrait avec sa plus jeune femme et sa famille.


Construit en 2004 et comprenant trois étages, la résidence est située au bout d'un chemin de campagne difficilement praticable en voiture, à environ 4km au nord-est du centre-ville. En outre, à 1.3km au nord-est, se trouve l'Académie Militaire Pakistanaise (PMA). Abbottabad est localisée à 160km de la frontière afghane, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa, dans le nord-est du pays, et est la capitale du district portant le même nom. Elle est entourée de collines.


La superficie de la propriété est sept ou huit plus importante que celle des maisons voisines. Le domaine est entouré d'un mur d'enceinte de 3.7 à 5.5 mètres de hauteurs, surmonté par des fils barbelés. Il comprend deux portes d'entrée, la terrasse et les fenêtres du troisième étage de l'immeuble étant dissimulés par un mur de béton de 2.1m de haut. L'immeuble n'a ni l'accès à Internet, ni relié à un réseau téléphonique fixe. Les résidents brûlent eux-mêmes leurs déchets et le contenu de leurs poubelles, et n'ont pratiquement aucun contact avec leurs voisins. Après le raid américain et la mort de Ben Laden, les autorités pakistanaises détruiront cette propriété en février 2012.

Ci-dessous: 1° Photo d'un drône de la CIA de la propriété de Ben Laden à Abbottabad. 2° Photo du domaine prise le 4 mai 2011, deux jours après le raid américain.





Code Name Geronimo: le raid héliporté.

Le nom de code officiel donné à cette mission est "Opération Neptune Spear" (Trident de Neptune), en référence au trident représenté sur le badge des Navy SEALs, les trois piques symbolisant les capacités Mer, Air et Terre (SEa, Air & Land) de leur nom. Son objectif initial est de "tuer ou de capturer" Osama Ben Laden. Le conseiller en contre-terrorisme de la Maison-Blanche, John O. Brennan, déclare après le raid: "Si nous avions l'opportunité de le prendre vivant, si à cet instant il ne représentait aucune menace, alors nous ne devions pas écarter cette possibilité." Le directeur de la CIA, Léon Panetta, déclare sur PBS: "L'ordre est clairement de tuer Ben Laden... Selon les règles d'engagements des militaires américains, si vous levez les bras, avez l'intention de vous rendre et ne représentez aucune menace, alors l'ordre est de le capturer vivant. Mais les commandos ont bien reçu l'autorisation de le tuer."

Un membre de la Sécurité Nationale, anonymement, déclare à Reuters: "C'est clairement une opération d'élimintation", marquant bien par là l'intention manifeste de ne pas essayer de le capturer vivant. "C'est bien un ordre d'élimination (Kill Order) et non un ordre de capture qui est donné. Et les SEALs se sont conformés à cet ordre."


1° Planification et décision finale.

En janvier 2011, la CIA expose la situation et donne des informations sur la résidence de Ben Laden au vice-amiral William H. McRaven, le commandant du Joint Special Operations Command (JSOC), le Commandement interarmes des Opérations Spéciales, qui comme son nom l'indique regroupe et coordonne toutes les forces spéciales de l'US Army, de l'US Navy, de l'US Air Force et de l'US Marine Corps. McRaven déclare qu'un raid de commando pourrait très bien être envisagé et privilégie cette option. Il donne l'ordre à un capitaine de l'US Naval Special Warfare Development Group (DEVGRU), nom de code "Brian", de travailler en collaboration avec une équipe de la CIA à Langley, en Virginie, pour concevoir une maquette de la résidence, préparer et planifier une intervention héliportée ou aéroportée sur zone.

Parallèlement à cela, l'option aérienne n'est pas écartée non plus. Un plan d'intervention de drones Predator équipés de missiles guidés, de chasseurs F-22 Raptor ou de bombardiers furtifs B-2 Spirit est mis au point. Les membres du JSOC impliqués dans la préparation envisagent une opération conjointe avec l'armée pakistanaise. Mais Barack Obama rejette cette option, par crainte des fuites éventuelles, et d'alerter Ben Laden et de le laisser disparaître une fois de plus.


Le 14 mars 2011, Obama se réunit avec le Conseil National de Sécurité pour récapituler toutes les options envisageables. Le président est préoccupé par le fait que cette mission devra être planifiée et exécutée en un laps de temps assez court, et dans le plus grand secret. Pour cette raison, il décide de ne pas avertir ou d'impliquer le gouvernement pakistanais dans l'affaire. Le Secrétaire à la Défense, Robert Gates, et plusieurs militaires expriment leurs doutes sur la présence effective de Ben Laden dans sa propriété, et sur le fait qu'un raid commando est une opération très risquée. A la fin de cette réunion, le président américain semble préférer l'option du bombardement aérien. Deux officiers de l'US Air Force sont donc chargés d'approfondir et de préparer une telle mission.

La CIA est incapable de s'assurer qu'un bunker souterrain existe sous la résidence. Envisageant le cas, des bombes de 910kg à fort pouvoir de pénétration sont équipées avec des systèmes de guidage JDAM pour être larguées à partir de B-2 Spirit ou de F-22 Raptor. Cependant, cette option a l'inconvénient des pertes collatérales que cela entraineraient (une douzaine de civils) et le fait qu'il serait impossible de prouver la mort de Ben Laden. Conscient de ces problèmes, lors de la réunion du Conseil de Sécurité du 29 mars, Obama range cette option de côté et la met en sommeil. Le Président charge alors le vice-amiral William McRaven de concevoir un assaut héliporté. La communauté américaine du renseignement, de son côté, étudie l'option d'un tir d'un missile ou d'une bombe guidée par laser de 227kg, à partir d'un drône.

McRaven rassemble donc des soldats provenant du Red Squadron (Escadron Rouge), l'un des quatre composant le DEVGRU "Team Six". Ces hommes, qui opèrent sur ce théâtre d'opérations depuis plusieurs années, ont été habitués aux coutumnes tribales et aux languages/patois de la région frontalière entre l'Afghanistan et le Pakistan. Ils sont transférés discrètement et individuellement, pour ne pas attirer l'attention, jusqu'aux Etats-Unis. Le 10 avril, à Harvey Point en Caroline du Nord, les SEALs commencent un entrainement rigoureux et intensif dans une installation secrète de la CIA, grâce à une reconstitution en grandeur nature du domaine d'Abbottabad. Le 18 avril, pour les habituer au climat, à la haute altitude et à la nature du terrain où ils opéreront, ils déménagent pour la Zone 51, dans le désert du Nevada. Là, ils se familiarisent également au transport d'assaut héliporté de nuit et aux capacités particulières de leurs montures.

Pour progresser jusqu'à Abbottabad sans être détecter par les Pakistanais, deux hélicoptères UH-60 Black Hawk du 160th Special Operations Aviation Regiment Night Stalkers de l'US Army ont en effet été profondément modifiés à cette occasion. Redésignés MH-X, ils sont équipés d'un revêtement furtif similaire à celui du B-2, de nouvelles pales de rotors en matériaux composites, de réducteurs de bruits ou de signature thermique.

Photos ci-dessous: 1° Hélicoptères MH-X spécialement modifiés pour cette mission. 2° Membre des Navy SEALs du "Red Squadron" assignés à cette opération.




Les planificateurs pensent que les SEALs seront capables de voler jusqu'à Abbottabad et de revenir sans avoir été détectés, grâce aux capacités furtives des MH-X. Depuis que les Etats-Unis équipent et entraînent le Pakistan, ses capacités de détection, de défense ou de riposte sont parfaitement connus de Washington. L'armée de l'air pakistanaise est essentiellement composée de chasseurs F-16 Fighting Falcon et d'hélicoptères UH-1 Iroquois et UH-60 Black Hawk, et l'emplacement de ceux-ci sont sous surveillance des Américains 24h/24. Au cas où malgré tout, ils décolleraient en urgence, les Etats-Unis en seraient immédiatement informés, et la mission avortée.

Si Ben Laden est capturé vivant, il devra être évacué sur la base aérienne de Bagram, en Afghanistan, où il attendra son transfert aux Etats-Unis. Si les SEALs sont découverts et menacés au sol par les militaires pakistanais, ils ont l'ordre formel de ne pas résister et de se rendre. Dans ce cas, le chef d'état-major interarmes des forces armées américaines, l'amiral Mike Mullen, se tient prêt à négocier leur libération avec son homologue, le général Ashfaq Parvez Kayani.

Lorsque le Conseil National de sécurité (NSC) se réunit de nouveau le 19 avril 2011, le président Obama donne son autorisation pour l'option du raid héliporté. Le 26 avril, McRaven et les SEALs décollent à bord d'un C-17 d'Oceana, en Virginie, pour l'Afghanistan. Après une escale de ravitaillement à Ramstein, en Allemagne, ils atterrissent à Bagram, où à l'aide d'une maquette grandeur naturelle de la résidence de Ben Laden, ils suivent un ultime entraînement dans un secteur de la base bouclé et sévèrement contrôlé, désigné "Camp Alpha".

Le 28 avril 2011, Mullen expose le plan d'opération final au NSC. Pour appuyer et seconder l'Escadron Rouge principal, deux MH-47D Chinook des Night Stalkers resteront en retrait, prêts à intervenir. La plupart des conseillers présents à cette réunion sont d'accord pour lancer l'opération, mais le vice-président Joe Biden y est opposé. Robert Gates plaide pour son plan alternatif de bombardement par drône, mais il changera d'avis le lendemain et se raliera à l'option de l'assaut héliporté. Barack Obama annonce qu'il veut s'entretenir personnellement, par téléphone, avec McRaven en Afghanistan, avant de donner son feu vert. McRaven lui annonce que ses hommes sont entièrements prêts et impatients, et que les prochaines nuits seront sans lune, une condition idéale pour le raid.

Le 29 avril 2011, à 8h20 EST, le fuseau horaire sur la Côte Est des Etats-Unis (GMT-5), Obama donne l'ordre final d'exécution. Le raid débutera le 1er mai dans la soirée (heure locale). Le président est informé que cet horaire pourra être repoussé d'une journée, en cas de conditions météorologiques défavorables.

Le 30 avril 2011, Obama téléphone à McRaven pour lui donner sa bénédiction et le remercier. Dans la soirée, aux Etats-Unis, pour donner le change et ne pas alerter la presse, il participe à un gala à la Maison-Blanche, et s'entretient avec plusieurs acteurs de cinéma.

Le 1er mai 2011, peu après 15h à Washington DC, Obama gagne la Salle de Crise (Situation Room) de la Maison-Blanche, et rejoint divers représentants du NSC pour suivre le déroulement du raid sur un écran géant. Léon Panetta, depuis son QG de Langley, commente les images dans un cadre dans le coin supérieur gauche de l'écran. La zone de la cible est filmée en vision nocturne par un drône Sentinel. Par ordinateur portable, le commandant adjoint du Joint Special Operations Command (JSOC), le brigadier-général Marshall Webb, s'entretient avec son état-major à Fort Bragg, en Caroline du Nord. Deux autres centres de crise observent les images du raid sur moniteurs: le Pentagone et l'ambassade américaine d'Islamabad.

Photo ci-dessous: l'après-midi du 1er mai 2011, dans la Situation Room de la Maison Blanche, Barack Obama et son vice-président Joe Biden (assis à gauche), ainsi que plusieurs membres de son Cabinet et du Conseil National de Sécurité, observent le déroulement du raid des Navy SEALs sur grand écran de télévision. Sont présents le Secrétaire d'Etat Hillary Clinton (la main sur la bouche), le brigadier-général Marshall Webb (assis au centre) et le Chef d'Etat-Major Interarmes américain, l'amiral Mike Mullen (débout à gauche, derrière Webb).



2° Déroulement de la mission "Geronimo".

Le groupe d'assaut principal compte 12 commandos SEALs DEVGRU de l'Escadron Rouge, transportés par les deux MH-X Black Hawk modifiés. Ils décollent de Jalalabad vers 23h heure locale (GMT+5), c'est-à-dire 15h à Washington DC, le 1er mai. Pour des raisons légales, ils sont placés temporairement sous l'autorité de la CIA. Ce groupe opèrera au sol en deux sections, les SEALs sont dotés de fusil d'assaut Heckler & Koch HK416, une variante allemande du Colt M4, plus compacte et légère que le célèbre M16A2, de pistolets mitrailleurs Heckler & Koch MP7, tous équipés de silencieux, d'armes de poing automatique, de grenades lachrymogènes, de lunettes de vision nocturne et de gilets blindés de protection. Le groupe d'assaut comprend également un chien, un Berger Malinois nommé Cairo, chargé d'intercepter quiconque s'échepperait de l'enceinte et tenterait d'alerter les forces de sécurité pakistanaises dans la ville. Un total de 79 hommes, en comptabilisant les équipages des avions et hélicoptères de soutien, sont impliqués dans ce raid. Les deux MH-X et les deux MH-47D font partie du 160th Special Operations Aviation Regiment (SOAR) de l'US Army.

Les Chinook sont équipés de mitrailleuses M134 Minigun et de réservoirs de carburant supplémentaires pour les Black Hawk, et transportent 24 autres SEALs. Ils décollent de Jallalabad trois quarts d'heure après les deux MH-X d'assaut, en suivant le même trajet, environ 200 kilomètres à vol d'oiseau entre les deux villes. Ils resteront en soutien en retrait, en tant que Quick Reaction Force (QRF), ou "Force de Réaction Rapide". Leur mission est d'interdire à des militaires pakistanais d'interférer avec le raid.

Les quatre hélicoptères du SOAR sont appuyés par une dizaine d'autres machines: deux avions d'attaque F/A-18E Super Hornet et deux MV-22 Osprey du porte-avions Carl Vinson en couverture, un satellite d'observation et un drône Sentinel chargés de filmer la mission en vision nocturne. Un E-3C AWACS Sentry et un EA-6B Prowler sont chargés de surveiller l'activité aérienne et électronique des Pakistanais. Un AC-30 Gunship ("Cannonière Volante") et un avion de ravitaillement en vol MC-130 Hercules se tiennent également prêt à intervenir, en cas de besoin.


Les hélicoptères doivent voler en rase-mottes sous la couverture radar pakistanaise. Dans une région au relief accidenté et montagneuse, cela n'est pas une mince affaire. Mais tout se déroule relativement bien, le vol entre Jalalabad et Abbottabad prenant une heure et demie.

Les deux MH-X d'assaut arrivent au-dessus de l'objectif à 1h30 du matin. D'après le plan, le premier hélicoptères (nom de code "Black Hawk One") doit se poser dans le périmètre à l'intérieur de la propriété, déposer ses SEALs puis redécoller aussitôt. Mais destabilisé par les remous d'air remontant du sol, le rotor de queue accroche le mur d'enceinte et l'hélicoptère se crashe, puis s'immobilise renversé sur son côté droit. Ses occupants, secoués et blessés à divers degrés, sont saufs, l'évacuent d'urgence et poursuivent leur mission. Le plan initial, qui consistait à investir la résidence depuis le rez-de-chaussée et le toit, est abandonné...

Au lieu d'hélitreuillé les SEALs sur le toit, le second hélicoptère ("Black Hawk Two") se pose à l'extérieur de l'enceinte, du côté nord-ouest, et les SEALs doivent pour entrer, pratiquer des brêches à l'explosif dans le mur et les portes. Lorsque les SEALs du premier hélicoptère, blessés et commotionnés pour la plupart dans le crash, tentent de pénétrer dans l'annexe secondaire, ou "pièce des invités", une fusillade éclate. Al-Kuwaiti, le messager de Ben Laden, est tué. Sa femme Mariam est légèrement blessée au bras gauche. Au rez-de-chaussée de l'annexe principale, la seconde équipe tombe sur un couple d'adulte et leurs enfants. Abrar, un des frères d'Al-Kuwaiti, est tué, ainsi que sa femme Bushar. Celle-ci sera la seule victime collatérale du raid américain.

Ben Laden et des membres de sa famille occupent les deux autres étages. Au premier, un des fils de Ben Laden, identifié plus tard comme Khalid, est abattu lorsqu'il tente de fuir par l'escalier. Ben Laden, sa jeune femme (la troisième) Khairiah et la fille de 12 ans de celle-ci, Safia, occupent l'appartement du second étage. C'est dans la chambre qu'ils se sont retranchés. Après avoir fait sauter la porte, le premier SEAL à pénétrer dans la pièce, Robert O'Neil, abat le chef d'Al Qaida d'une balle dans la poitrine. Ben Laden s'écroule, et un second SEAL, Matt Bissonnette, s'assure de sa mort en lui tirant dans la tête. La femme de Ben Laden est blessée aux jambes lorsqu'elle a tenté de s'interposer, et sa fille est atteinte aux pieds par les débris de l'explosion de la porte. L'opérateur radio de l'équipe annonce alors: "For God and Country ("Pour Dieu et la Patrie") - Geronimo, Geronimo, Geronimo!". Lorsque McRaven demande confirmation, le SEAL répète: "Geronimo E.K.I.A." (Enemy Killed In Action). Regardant le déroulement du raid depuis la Situation Room de la Maison-Blanche, Obama prononce les mots: "We got him" (On l'a eu), puis quitte la pièce.

Deux armes sont présentes dans cette chambre: un AKSU (une Kalashnikov à crosse repliable) et un pistolet automatique Makarov, que Ben Laden n'a pas eu l'occasion de saisir. La sécurisation, la fouille et la saisie du matériel informatique et de documents dans différentes pièces prend une quinzaine de minutes. L'épave de l'hélicoptère écrasé est détruite pour éviter que les Pakistanais ou Al-Qaida mettent la main sur la technologie. Puis le corps de Ben Laden et les SEALs sont évacués par le MH-X et un des Chinook. Le raid, qui devait s'effectuer en maximum une demi-heure, a pris 38 minutes en tout. Il se termine avec huit minutes de retard sur l'horaire programmé. Au cours de ce raid, 22 résidents sont présents dans la propriété. 5 adultes, 4 hommes et 1 femme, sont tués. Les 4 autres femmes et 13 enfants et petit-enfants sont saufs et regroupés dans une pièce du rez-de-chausée et laissés là.

L'assaut et l'affrontement proprement dits ont duré 18 minutes. Il faut 20 minutes supplémentaire pour que les SEALs collectent et rassemblent ce qu'ils peuvent emportés, dans des sacs poubelles: courrier personnel, documents écrits, clés USB, DVD et CD-ROM, disques durs, etc. A l'extérieur de la propriété, un secouriste effectue des prélèvements d'ADN sur le corps de Ben Laden, avant que celui-ci ne soit chargé à bord d'un des MH-47D Chinook.

A 1h42 du matin, les trois hélicoptères du SOAR quittent Abbottabad et retournent vers la base de Bagram, où ils atterrissent à 3h30. Là, le corps de Ben Laden est chargé à bord d'un MV-22 Osprey pour être acheminé sur le porte-avions Carl Vinson. Aucun pays ne désirant accueillir sa dépouille, elle sera immergée en mer, en un lieu gardé secret pour éviter tout recueillement ou marque de dévotion, après avoir obtenu l'accord des autorités saoudiennes et selon les rites funéraires musulmans.

Photo ci-dessous: des militaires pakistanais inspectent et tentent de dégager le retor de queue du MH-X détruit dans la journée du 2 mai 2011.


Conséquences politiques américaines et internationales.

1° Identification formelle de Ben Laden.

Plusieurs méthodes sont pratiqués ou pris en compte pour l'identification formelle de Ben Laden:
  1. Mesure de la taille. Ben Laden mesurait 1.93m. Les SEALs n'ayant pas de moyens de mesure sur eux, mais connaissant sa taille, ils procèdent par comparaison avec sa dépouille.
  2. Reconaissance faciale. A partir de photographies prise pendant le raid. Accomplie par ordinateur au siège de la CIA à Langley, en Virginie, elle donne un résultat positif à 95%.
  3. Identification visuelle. Demandée aux membres de sa famille pendant le raid. Le corps est formellement identifié par sa femme Khairiah.
  4. Identification ADN. C'est la méthode scientifique la plus sûre, et la plus incontestable. Selon l'Associated Press et le New York Times, des tests comparatifs ont été effectués, entre d'une part des prélevements de sang et de tissus, d'une soeur de Ben Laden, soignée et décédée au Etats-Unis d'un cancer. Et d'autres part, des échantillons prélevés sur sa dépouille, sur place à Abbottabad. L'écart d'erreur est pratiquement nul ou infinitésimal (1 chance sur 11.8 * 10e15).
  5. Méthode par déduction, ou "inférence". A partir des documents saisis à Abbottabad: lettres, courrier personnel, disques durs, CD ou DVD vidéos enregistrés, témoignages de membres de sa famille, etc.
Le 1er mai 2011, à 21h45 EST, heure de la côte Est des Etats-Unis, la Maison-Blanche annonce que le président "s'adressera à la nation" un peu plus tard. A 23h35, Obama apparaît sur toutes les grandes chaines de télévision des Etats-Unis, et fait une déclaration: "Good evening. Tonight, I can report to the American people and to the world that the United States has conducted an operation that killed Osama bin Laden, the leader of al-Qaeda, and a terrorist who was responsible for the murder of thousands of innocent men, women, and children…".

Il relate les attentats du 11 septembre 2001 et ses milliers de victimes, les dix années de guerre contre le terrorisme, la longue et pénible traque de Ben Laden, les projets d'attentats déjoués, la puissance et la volonté du peuple américain d'aller jusqu'au bout de son combat, la chute des Talibans, la capture ou l'élimination des principaux chefs d'Al Qaida, etc. Il réaffirme que les Etats-Unis ne sont pas en guerre contre l'Islam et qu'ils demeurent l'Allié des pays arabes (en particulier du Pakistan, de l'Afghanistan et de l'Arabie Saoudite). A cette nouvelle, les Américains laissent éclater leur joie et un peu partout, célèbrent sa mort.







2° Justification légale.

Le 14 septembre 2001, le Congrès américain adopte la Pub. Law 107-40 "Authorization for Use of Military Force" (AUMF), autorisant l'utilisation des forces militaires des Etats-Unis contre les responsables des attentats du 11 septembre. Cette autorisation garantit au président (chef suprême des armées) l'autorité pour utiliser toute "force appropriée et nécessaire" contre quiconque a "planifié, autorisé, commis ou aidé" les attaques terroristes sur le territoire américain, ou des pays qui les abritent. Dans ce cas, le décret présidentiel (Executive Order) 12333, qui interdit formellement aux Etats-Unis de mener des opérations d'assassinat politique (signé par Ronald Reagan en 1981), n'entre pas en application. Parce qu'il s'agit dans ce cas d'une action militaire, et qu'il est autorisé de tuer des commandants ennemis.

Comme témoigne l'Attorney Général Erich Holder: "L'opération contre Ben Laden est légale et comparable à une action de guerre." Il rappelle que l'élimination d'un commandant ennemi est légal, que la mort de Ben Laden est une justice pour les 3,000 personnes qui ont perdu la vie le 11 septembre 2001.



3° Réactions internationales.

Au Pakistan, le raid américain provoque une cascade de protestations, et parfois quelques commentaires mitigés. Le premier ministre Yousuf Raza Gilani, au cours d'un entretien avec le président Asif Ali Zardari, déclare: "Nous ne pouvons permettre que notre pays serve pour mener des attaques terroristes contre d'autres pays, par conséquent je pense que cette opération est un succès, une grande victoire." Mais dans l'ensemble, la classe politique pakistanaise condamne le raid américain, certains avec plus de véhémences que d'autres. Selon un sondage d'opinion, 72% de la population le désaprouve, et 66% ne croient pas à la mort de Ben Laden à Abbottabad.

Le rapport d'enquête et d'investigation des autorites pakistanaises, sous l'égide de la "Commission Abbottabad" menée par le ministère de la Justice et le Premier ministre de ce pays, Hawaz Sharif, chargée de mettre en lumière les zones d'ombre et les circonstances exactes de la mort de Ben Laden, rend ses conclusions deux ans plus tard. Et malgré les tentatives d'Islamabad de le garder secret et de l'enterrer dans un tirroir de la bureaucratie, ce rapport est publié par la chaine Al Jazeera le 8 juillet 2013. (1)

Partout dans le monde entier, la grande majorité des pays approuvent cette opérations. Seuls quelques pays comme l'Iran, Cuba ou le Vénézuela, désapprouvent le raid américain. Parmi la population palestinienne, les avis sont partagés: Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité Palestinienne, dans les Territoires Occupés, l'approuve. Ismail Haniyeh, à la tête du Hamas dans la Bande de Gaza, la condamne, comparant Ben Laden à un "Guerrier Saint Arabe".


(1) Al Jazeera, "Document: Pakistan's Bin Laden Dossier", 8 July 2013.


L'élimination de Ben Laden au cinéma: Zero Dark Thirty.

En 2012, la réalisatrice Kathryn Bigelow relate les dix ans de traque et l'élimination d'Ossama Ben Laden dans son film Zero Dark Thirty ("Zero Heure Trente"), dont voici quelques extraits vidéo:







Documentaires: l'opération Neptune Spear.

1° Investigations: Objectif Ben Laden (2011).

"Investigations: Ben Laden" est un documentaire-fiction réalisé en 2011 pour la chaine télévisée France Ô.



2° Opération Neptune Spear: l'élimination de Ben Laden (2012).

Documentaire réalisé par la chaine télévisée National Geographic en 2012.



Article modifié le 25 avril 2020.


Sources principales:
Death of Ben Laden (Wikipedia.org)

8th Air Force américaine en Europe 1942-1945

La fabuleuse histoire de la Eighth Air Force (Huitième Force Aérienne) des Etats-Unis commence le 2 janvier 1942 sur la base aérienne de Savannah, dans l'Etat de Géorgie. Le 5 janvier, le major-général Carl A. Spaatz en assume le commandement à Bolling Field, dans le district fédéral de Washington DC. Trois jours plus tard encore, le 8 janvier, l'activation des "US Air Forces in the British Isles" (USAFBI) est annoncée. Le 12 mai suivant, le premier contingent de la 8th Air Force débarque en Angleterre, suivi le 15 juin par Spaatz lui-même. Celui-ci installe son PC opérationnel à Bushy Park, dans la banlieue sud-ouest de Londres.

Trois ans plus tard, la 8th Air Force est devenue la plus formidable flotte aérienne de l'Histoire: lorsqu'elle regagne les Etats-Unis, en septembre 1945, elle compte dans ses rangs environ 17,000 avions et 135,000 aviateurs (486,000 hommes si on prend en compte les équipes au sol et toute la logistique nécessaire). Durant ces trois années, elle a également payé très cher sa contribution dans la campagne alliée de bombardement stratégique: 10,561 avions perdus, soit 4,754 B-17, 2,112 B-24, 1,043 P-47, 451 P-38 et 2,201 P-51, ainsi que 32,000 tués, 14,000 blessés et 33,000 prisonniers de guerre.




La 8ème Force Aérienne a l'autorité sur les commandements opérationnels suivants:
  • VIII Bomber Command (créé le 19 janvier 1942).
  • VIII Fighter Command (créé le 19 janvier 1942).
  • VIII Air Support Command (créé le 24 avril 1942).
La 8th Air Force et le VIII Bomber Command croissent en effectifs et en importance au fil des mois de 1942 à 1945. Le 22 janvier 1944, une réorganisation majeur s'effectue: toutes les flottes aériennes présentes en Europe/Méditerannée (8th, 9th, 12th et 15th Air Forces) sont rassemblés au sein d'un unique commandement centralisé, les United States Strategic Air Forces (USSTAF). En Angleterre, les B-17 et B-24 sont désormais subordonnés directement à la 8th Air Force, l'échelon du VIII BC disparaissant. Carl A. Spaatz étant placé à la tête des USSTAF, c'est le lieutenant-général James H. Doolittle qui lui succède en Angleterre au commandement de la 8th Air Force.

Ci-dessous: 1° Major-général Carl. A. Spaatz, commandant de la 8th Air Force (1942-1944). 2° Major-général Ira C. Eaker, commandant du VIII Bomber Command (1942-1944). 3° Lieutenant-général James H. Doolittle, commandant de la 8th Air Force (1944-1945).


Ci-dessous: extraits vidéos du film "Memphis Belle" (1990).

















VIII Bomber Command.

Le VIII Bomber Command, dont nous traiteront principalement dans cet article, regroupe la totalité des bombardiers lourds quadrimoteurs de la 8th Air Force. Il est activé à Langley Field, en Virginie, est est ensuite réassigné à Savannah, en Géorgie, le 10 février. Le major-général Ira C. Eaker est désigné pour en assumer le commandement. Un détachement avancé est établit dans le quartier-général du RAF Bomber Command à Daws Hill (High Wycombe, Buckinghamshire, Angleterre), le 23 février, pour préparer l'arrivée des unités opérationnelles venant des Etats-Unis. La première unité du VIII BC arrivée en Angleterre est le 97th Bombardment Group, équipé de B-17E et qui s'établit sur la base de Polebrook (Northamptonshire) le 9 juin 1942.

Photo ci-dessous: B-17E du 97th BG, avec les marquages d'identification établis en 1943, et le liséré rouge autour des cocardes.


Les missions de combat du VIII Bomber Command débutent le 17 août 1942, lorsque 12 Flying Fortress du 97th BG s'en prennent à la gare de triage et au réseau ferroviaire de Rouen-Sotteville, en Normandie. Petite anecdote: le commandant du raid est un certain major Paul W. Tibbets. A la fin de cette année, quatre groupes de B-17E/F (92nd, 97th, 301st et 303rd BG) et deux groupes de B-24D (44th et 93rd BG) forment le noyau dur du VIII BC en Angleterre. La première mission américaine en territoire allemand s'effectue le 27 janvier 1943 contre la base navale et les industries de Wilhelmshaven.

Photos ci-dessous: 1° B-24D Liberator du 93rd Bomb Group en 1943. Au premier plan, les B-24D-25-CO "Joisey Bounce" (S/N 41-24226) et "The Duchess" (S/N 41-24147). 2° B-24D de la 8th Air Force en route vers leur objectif de Wilhelmshaven, le 27 janvier 1943.





1° Opération Pointblank: offensive aérienne coordonnée anglo-américaine en 1943.

Les deux stratégies différentes de la 8th Air Force et de la Royal Air Force sont définies et coordonnées entre elles lors de la Conférence de Casablanca, en janvier 1943. Il en résulte un plan d'ensemble baptisé "Combined Bomber Offensive" ou CBO pour mettre le Troisième Reich à genoux. C'est l'opération Pointblank. Le RAF Bomber Command d'Arthur Harris effectuera des raids nocturnes contre les grands centres hurbains, pour briser le moral de la population ennemie et insuffler un climat d'insécurité. Le VIII Bomber Command américain, de son côté, se concentrera sur les missions diurnes contre la puissance industrielle du Troisième Reich, en Allemagne ou dans les pays occupés d'Europe.

Le 13 avril 1943, 115 B-17 bombardent les usines aéronautiques Focke-Wulf de Brême. Le 5 mai suivant, pour la première fois, des chasseurs américains P-47C Thunderbolt escortent les bombardiers de la 8th Air Force au-dessus du territoire allemand.

Photo ci-dessous: B-17F de la 8th Air Force bombardant l'usine aéronautique Focke-Wulf de Marienburg, le 9 octobre 1943.


Le 14 juin 1943, à Londres, les Chefs d'Etat-Major Combinés anglo-américains (Combined Chiefs of Staff) publient la "Directive Pointblank", avec quelques modifications apportés à la directive d'origine de Casablanca, pour préparer le grand débarquement des troupes alliées en France. En août, la Conférence Quadrant à Quebec confirme ce changement de priorité, en même temps qu'elle met au point les plans d'exécution de la future opération Overlord.

Dans cette liste des priorités américaines, les usines aéronautiques Messerschmitt de Regensburg et de roulements à billes de Schweinfurt figurent en première place. L'offensive de bombardement combiné CBO début le 10 juin 1943. Et pendant les cinq mois suivants, les deux Bomber Commands concernés se concentrent sur le bassin industriel de la Ruhr.

Liste des priorités des cibles définie par le CBO:
  1. Usines aéronautiques de chasseurs monoplace (22 cibles).
  2. Usines de roulements à billes (10 cibles).
  3. Usines et complexes pétrolifères (39 cibles).
  4. Usines fabriquant les meules, matières abrasives (10 cibles).
  5. Usines de métaux non ferreux (13 cibles).
  6. Usines de pneus ou de caoutchouc synthétiques (12 cibles).
  7. Bases et usines de construction de sous-marins (27 cilbes).
  8. Usines produisant des véhicules militaires de transport (7 cibles).
  9. Réseaux de transport, gares ferroviaires, routes, ponts.
  10. Usines pétrochimiques, d'hydrocarbures et raffineries de pétrole (89 cibles).
  11. Usines métallurgiques (14 cibles).
  12. Usines de machines outils (12 cibles).
  13. Centrales électriques (55 cibles).
  14. Usines fabriquant du matériel électrique (16 cibles).
  15. Usines fabriquant des instruments d'optique de précision (3 cibles).
  16. Usines chimiques.
  17. Usines de production alimentaire (21 cibles).
  18. Usines de production d'azote (21 cibles).
  19. Usines de production de pièces d'artillerie AA.
Le premier raid allié de l'offensive coordonnée Pointblank est effectué dans la nuit du 11 au 12 juin 1943 par le RAF Bomber Command, à l'aide de radar H2S, contre la ville de Münster. A l'occasion du premier anniversaire des opérations de bombardement de la 8th Air Force, le 17 août 1943, les Américains visent les usines aéronautiques Messerschmitt de Regensburg, avec 230 B-17. Et le même jour, 146 autres Flying Fortress "visitent" les usines de roulements à billes de Schweinfurt. Ces deux premiers raids ne causent que des dommages mineurs, et au-dessus de Schweinfurt, les B-17 participant à la mission sont interceptés par une force estimée à environ 300 chasseurs de la Luftwaffe. Durant ces deux raids, la 8th Air Force perd respectivement 36 et 24 bombardiers. 168 autres sont endommagés à divers degrés.

Photos ci-dessous: 1° B-17F au-dessus de Schweinfurt, le 17 août 1943. 2° Des B-17F bombardent au-radar, au-dessus de la couverture nuageuse, les usines aéronautiques de Brême, le 13 novembre 1943.



Une seconde tentative est menée contre Schweinfurt le 14 octobre 1943. Au cours de la journée que les Américains baptiseront par la suite "Jeudi Noir" (Black Thursday), les B-17 endommagent fortement l'usine de roulements à billes et interromptent sa production pour le restant de la guerre. Ce succès a cependant un prix élevé: sur les 291 bombardiers qui prennent par au raid, 60 sont abattus, et 650 aviateurs américains sont capturés, tués ou disparus. Seuls 33 Forteresses Volantes rentrent à leur base sans dommages ou sans avoir été touchées.

Un tel traitement ne peut être soutenu à longue durée, et le commandement des US Army Air Forces in Europe, conscient de la vulnérabilité de ses bombardiers lourds s'ils ne sont pas escortés sur l'ensemble du trajet aller-retour, interrompt temporairement ses missions diurnes au-dessus de l'Allemagne.

En novembre 1943, ce problème semble être résolu grâce à l'arrivée des P-51B Mustang, munis de réservoirs largables. Et la campagne de bombardements diurnes de la 8th Air Force en Allemagne reprend. Ce qui n'empêche pas le VIII Bomber Command, le 11 janvier suivant, lors des raids contre Oschersleben, Halberstadt et Brunswick, d'enregistrer des pertes similaires à celle du Jeudi Noir: les chasseurs d'escorte, en raison de la couverture nuageuse, ont râté le rendez-vous avec les bombardiers et ont du faire demi-tour.


2° Opération Argument (la Big Week de février 1944).

Les conditions météorologiques s'améliorant notablement dans la seconde moitié de février 1944, les stratèges alliés prennent la décision de lancer l'opération Argument. En collaboration avec les missions nocturnes du RAF Bomber Command, le Troisième Reich est bombardé intensivement sans interruption, nuit et jour. Dans la nuit du 19 au 20 février, les Britanniques ouvrent le bal, contre les aérodromes et industries aéronautiques dans la région de Leipzig.

Au cours de la journée suivante, le 20 février, plus de 1,000 B-17 et B-24 des 8th et 15th Air Force prennent le relai, désormais solidement escortés par 800 chasseurs P-38, P-47, P-51 et Spitfire sur l'ensemble du trajet. Les B-17 Flying Fortress visent les usines Transportanlagen-Gesellschaft (Ju-88), Erla-Maschinenwerk (Bf-109), Bernburg-Strenzeld (Ju-88) et Oschersleben (Bf-109). Les B-24 Liberator se chargent des usines Gothaer Waggonfabrik (Bf-110) et de Rostock (Fw-190 et He-111). Les dommages causés sont si importants que les dirigeants nazis prennent la décision de délocaliser et de mettre à l'abri leur production aéronautique plus à l'Est, hors du rayon d'action des bombardiers lourds quadrimoteurs alliés.

Le 21 février, la "Grosse Semaine" se poursuit, 900 bombardiers quadrimoteurs du VIII Bomber Command attaquent la région de Braunchweig. Les B-17 visent particulièrement les aérodromes de Gutersloh, Lippstadt, Werl, Achmer, Hopsten, Rheine, Diepholz, Quakenbruck, Bramsche, Diepholz et Brunswick. Les B-24 "visitent" les aérodromes et usines d'Achmer, Handorf, Diepholz, Verden, Hesepe et Lingen. Au cours de ce raid, pour le prix de 19 bombardiers et 5 chasseurs d'escorte, plus de 60 chasseurs de la Luftwaffe sont abattus ou détruits au sol.

Le 22 février, les Américains envoient 810 bombardiers et 680 chasseurs d'escorte contre les usines aéronautiques de Regensburg et de Schweinfurt.

Le 25 février, 740 B-17 et B-24, escortés par 920 P-38, P-47 et P-51, visent les usines aéronautiques dans les régions de Stuttgard et d'Augsburg.

Au cours de la Big Week (20-25 février 1944), l'US Army Air Force a perdu 247 bombardiers, sur plus de 3,500 sorties, et 33 chasseurs d'escorte. Les Britanniques, 131 bombardiers abattus. Les Allemands, de leur côté, enregistrent la perte de 355 chasseurs détruits et environ 100 pilotes tués. Dans les quelques jours qui suivent, les raids alliés contre les industries nazies se poursuivent, mais à une moindre intensité. Le 29 février, 226 B-17, escortés par 455 chasseurs des 8th et 9th Air Forces, reviennent visiter les usines de Brunswick.

Photo ci-dessous: B-17G, dernière version de la Flying Fortress engagée au combat au cours de la Seconde Guerre mondiale à partir de 1944. Le bombardier 43-37683 appartient au 339th Bomb Squadron, 96th Bombardment Group, et est basé à Snetterton Heath, en Angleterre.



3° "Bataille aérienne" de Berlin (mars 1944).

Deux semaines après la fin de la Big Week, le 6 mars, la 8th Air Force américaine entame sa "Bataille de Berlin" (rien à voir avec l'assaut final de l'Armée Rouge contre Berlin, en avril 1945). La Royal Air Force visite régulièrement la capitale allemande depuis 1940 (avec un pic d'activité en avril/mai 1943), mais c'est le premier raid diurne américain sur cette ville. 510 B-17 et 740 chasseurs d'escorte visent les industries dans les banlieues berlinoises. D'autres bombardiers du VIII Bomber Command visent également Dusseldorf, Bonn et Cologne.

Le 8 mars, 510 B-17 et 220 B-24, guidés par les Pathfinders du 482nd Bomb Group équipés de radar de visée H2X et accompagné par 800 chasseurs d'escorte P-38, P-47 et P-51, reviennent sur cette ville et détruisent notamment l'usine de roulements à billes d'Erkner.

Le lendemain 9 mars, 420 B-17 et 210 B-24, escortés par 820 chasseurs, visitent Berlin une troisième fois. Durant cette période, la 8th Air Force largue au total plus de 4,800 tonnes de bombes sur la capitale du Troisième Reich.

Le 22 mars, 460 B-17 et 200 B-24, guidés par les Pathfinders H2X, bombardent une quatrième et dernière fois la zone hurbaine berlinoise. Sont particulièrement visées les usines aéronautiques d'Orianenburg et de Basdorf. Pour sa part, le RAF Bomber Command poursuivra ses raids nocturnes contre Berlin jusqu'à la nuit du 24 au 25 mars.


4° Prélude à l'Opération Overlord (février-juin 1944).

En préparation du débarquement allié en Normandie, la 8th Air Force entame en février 1944, en collaboration avec la 9th Air Force et le RAF Bomber Command, une campagne de bombardements contre les défenses du Mur de l'Atlantique, de la Hollande à la Bretagne, et les réseaux ferroviaires et routiers entre ces deux zones, jusqu'à une profondeur de cent kilomètres. Des centaines de routes, d'aérodromes de la Luftwaffe, de ports, de carrefours, de ponts, de gares ou de réseaux ferroviaires sont détruits.

Le 1er mai, 1,300 B-17 et B-24 s'en prennent aux réseaux routiers et ferroviaires d'Alsace (Sarguemines et Metz) et de Belgique (Bruxelles et Liège).

Parallèlement à cette campagne, la 8th Air Force procède à des larguages d'armes et de munitions au bénéfice des mouvements de résistance français, belges et néerlandais (opération Carpet Bagger).

Une troisième campagne de bombardement, menée toujours simultanément et en collaboration avec les bombardiers lourds Lancaster du RAF Bomber Command, cible les installations et les usines de fabrication des V1 et V2 en Allemagne, particulièrement celles de Peenemunde, sur les côtes de la Mer Baltique. C'est l'opération Crossbow.

En septembre 1944, vingt-sept des quarante groupes de bombardement lourds de la 8th Air Force opèrent sur B-17. Ainsi que six des vingt-et-un groupes de la 15th Air Force.

Ci-dessous: parmi les progrès technologiques dans le domaine de l'aviation, la mise en service du radar H2X (ou AN/APS-15) permet en 1944 une amélioration notable des systèmes de radio-navigation et de visée des bombardiers alliés.



5° Détruire les industries pétrolières allemandes (1944-1945).

La 8th Air Force attaque pour la première fois des installations pétrolifères allemandes le 13 mai 1944, lorsque 488 B-17, escortés par 739 P-51, visent les rafferines des régions de Leipzig, en Allemagne, et de Brux, en Tchécoslovaquie. Au cours de la même mission, 261 B-24 s'en prennent à l'usine aéronautique et au dépot de maintenance Focke-Wulf de Tutow. Plus de 300 chasseurs de la Luftwaffe interceptent les formations américaines. La 8th Air Force revendique ce jour-là 47 avions ennemis abattus, mais perd 46 bombardiers.

Après le Jour-J, le bombardement des industries pétrolières allemandes devient une priorité. Des vastes formations de centaines de B-17 et de B-24, escortés par autant, sinon plus, de chasseurs d'escorte P-51 et P-38, visent les raffineries en Allemagne et en Tchécoslovaquie, jusqu'au début de l'année 1945. A cette date, ayant mis à mal la Luftwaffe, les Alliés ont de fait obtenu la suprématie aérienne au-dessus du territoire ennemi. Avec les nouveaux B-17G disposant d'un rayon d'action accru, la 8th Air Force en profite pour s'aventurer toujours plus loin, jusqu'en Tchécoslovaquie et l'ancienne frontière polonaise. Dans cette campagne de bombardements stratégiques, elle vise les usines de fabrication de carburant synthétique Leuna de Merseburg à dix-huit reprises.

A la fin de l'année 1944, seules trois des nonante et une raffineries allemandes fonctionnement encore normalement, 29 partiellement, et toutes les autres complètement détruites. Cependant, ces missions coûtent très cher aux Américains. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la 8th Air Force enregistrera à elle seule environ la moitié du total des pertes en aviation des Etats-Unis sur tous les théâtres d'opérations. A la fin des hostilités, elle a perdu 10,561 avions, soit 4,751 B-17, 2,112 B-24, 1,043 P-47, 451 P-38 et 2,201 P-51. 32,000 tués, 14,000 blessés et 33,000 aviateurs capturés. En mai 1945, elle compte dans ses rangs 17,000 avions et 486,000 hommes. En trois ans, elle est devenue la plus formidable force aérienne de tous les temps.


6° Victoire en Europe (1945).

Le 1er janvier 1945, 950 chasseurs effectuent la dernière offensive aérienne majeure allemande, l'opération Bodenplatte, contre une trentaine d'aérodromes alliés en France, en Belgique et dans le sud des Pays-Bas. Cette action, qui s'inscript globalement dans le cours de la bataille des Ardennes, est en fait une victoire de la Luftwaffe à la Pirrhus: plus de 300 avions allemands sont abattus, la grande majorité par la DCA. La Luftwaffe est incapable de se remettre de cette saignée, alors que les Alliés combleront leurs pertes en quelques jours à peine. Ce qui pesera très lourd au cours des derniers mois du conflit en Europe. Grâce à cette "victoire" allemande, les Alliés ont de fait désormais la supériorité aérienne absolue au-dessus du territoire ennemi.

Photo ci-dessous: formation de B-17 du 398th Bombardment Group au cours d'un raid contre Neumunster, le 13 avril 1945.


Pourtant, la Luftwaffe continuera à harceler les formations de la 8th Air Force, mais à une beaucoup moindre intensité.

En mars 1945, surviennent les premières attaques de chasseurs à réaction allemands contre les bombardiers alliés. Le 2 mars, alors que la 8th Air Force vise les usines de carburant synthétique de Leipzig, des Me-262A interceptent les bombardiers américains au-dessus de Dresde. Le lendemain, 3 mars, la plus importante formation d'avions à réaction jamais réunies dans ce conflit, provenant du Jadgeschwader JG7 Nowotny, attaque des B-17 visant les usines de carburant synthétique de Dresde et d'Essen, et abattent trois d'entre-eux.

Cependant, ce sursaut intervient trop tard, et n'aura plus aucune incidence sur la conduite des opérations de la 8th Air Force. Jusqu'à la fin, celle-ci pourra continuer d'agir en toute impunité.

Le 7 avril 1945, la Luftwaffe intervient pour la dernière fois, avec des Bf-190G et Me-262A, contre une formation de la 8th Air Force. Seuls 15 B-17 sont pris pour cible, et 8 d'entre-eux abattus. Au cours de cette journée, 32 B-17 et B-24, escortés par 14 P-51D, bombardent les quelques aérodromes qu'il reste encore à la Luftwaffe. Au cours de cette mission, environ 300 avions allemands de tous types sont détruits au sol, soit du fait des bombardiers, soit du fait des chasseurs en missions straffing (mitraillages en rase-mottes).

Le 16 avril, ce record est battu: les derniers 700 avions allemands sont détruits au sol. La Luftwaffe a cessé d'existé.

La dernière mission de guerre de la 8th Air Force survient le 25 avril 1945: 307 B-17, escortés par 206 P-51, visent les usines d'armement Skoda de Pilsen, en Tchécoslovaquie. De leur côté, 282 B-24, escortés par 216 P-51, s'en prennent aux installations ferroviaires de Salzbourg, sur la frontière autrichienne, de Bad Reichenhall, de Hallein, de Berchestgagen et du Nid d'Aigle d'Hitler, en Allemagne. Au cours de ce ultime raid aérien, 6 bombardiers et 1 chasseur américain sont abattus par la FlaK.

Au cours de la première semaine de mai 1945, la 8th Air Force n'effectue plus que des largages de denrées alimentaires et de médicaments aux profit des populations civiles sinistrées aux Pays-Bas et en Allemagne. Ces missions humanitaires se poursuivront jusqu'à la fin du mois de juin.

Photos ci-dessous: 1° Un des derniers adversaires de la 8th Air Force en Europe: le Me-262A Schwalbe ("Hirondelle"). En avril et mai 1945, la quasi-totalité des aérodromes de la Luftwaffe ayant été détruits, l'Hirondelle opère à partir de tronçons d'autoroute (Autobahn) ou dans des champs, les avions étant dissimulés à l'orée des bois lorsqu'ils sont au sol. 2° Le B-17G "Lil Wayne", la dernière version du B-17 Flying Fortress, au cours du Chino Air Show en Californie, en 2014.





VIII Fighter Command.

Mission: anéantir la Luftwaffe!

Les premiers squadrons du VIII Fighter Command (4th et 31st FG) sont, à l'été 1942, équipés de Spitfire Mk.Ia et Mk.VB, puis finalement Spitfire MK.VIII et Mk.IX, cédés par la Royal Air Force. Les Spitfire du 4th FG sont remplacés par des P-47C Thunderbolt à la fin de l'année. Ceux du 31st FG resteront en service jusqu'en avril 1944, avant d'être remplacés par des P-51B puis P-51D Mustang.

Ci-dessous: Spitfire Mk.VB du 301st FS/31st FG en Angleterre. Automne 1942.


Au sein de la Royal Air Force, le P-51A (désigné Mustang I par les Anglais) entre en service opérationnel en Europe au cours des premiers mois de 1942. Propulsé par un Allison V-1710, l'avion montre d'emblée d'indéniables performances, particulièrement sa vitesse élevée. Mais ces performances se dégradent en haute altitude. Pour résoudre cela, l'Allison est remplacé par un Rolls-Royce Merlin d'origine anglaise. Il en résulte la version expérimentale XP-51B, disposant d'une vitesse accrue de 65km/h par rapport au P-51A.

L'US Army Air Force décide de s'équiper en priorité de ce nouveau chasseur, capable de rivaliser (et même de surpasser) le Focke-Wulf Fw-190 et les versions tardives F et G du Messerschmitt Bf-109. Un contrat est signé, portant sur la livraison de 2,200 P-51B équipés de Packard V-1650-3, inspiré du Rolls-Royce Merlin.

Au sein de la 8th Air Force, le P-51B entre en service opérationnel au moment des raids intensifs contre Schweinfurt et Regensburg, en août 1943. Equipés de deux réservoirs largables de 320 litres chacun, il escorte désormais les bombardiers lourds B-17 et B-24 sur la totalité du trajet aller-retour.

Introduit en opération à partir de mai 1944, le P-51D dispose d'améliorations: six mitrailleuses de 12.7mm, au lieu de quatre sur les versions antérieures, une capacité accrue du réservoir de carburant, un moteur plus puissant (Packard V-1650-7 de 1490 ch), et surtout d'une nouvelle verrière intégrale 360° supprimant les angles morts vers l'arrière, et très appréciée des pilotes.

Photo ci-dessous: formation de Mustang du 375th Fighter Squadron, 361st Fighter Group, basé à Bottisham, Cambridgeshire, 26 juillet 1944. A l'avant plan, le P-51D-5-NA S/N 44-13410 "Lou IV". A l'arrière plan, le P-51B-15-NA S/N 42-106811 "Suzy-G".


Le Lightning, le "Diable à queue fourchue" ainsi surnommé par les Allemands, dispose de réservoirs internes permettant d'escorter les bombardiers jusqu'à la cible, même sans réservoirs externes auxiliaires. Cependant, sa production souffrant de problèmes dû à son moteur Allison, il est en sous-effectif par rapport aux demandes. La version P-38J entre en service en octobre 1943 au sein du VIII Fighter Command en Angleterre.

Ci-dessous: P-38J du 370th Fighter Group. RAF Andover, Hampshire, Angleterre. Juin 1944.


A la fin de l'année 1942, le P-47C Thunderbolt entre en service opérationnel au sein du 56th Fighter Group en Angleterre. Les 4th et 78th FG sont ensuite équipés tour de ce nouveau chasseur massif, à l'allure pataude et que les pilotes américains surnomment "la Cruche" ou "le Sanglier", mais capable d'encaisser d'importants dommages et de continuer à voler malgré tout. Du fait de ces caractéristiques particulières, bien qu'il s'acquitte honorablement des missions d'escorte de bombardiers, il est surtout destiné aux missions d'attaque au sol dites "Rubarb", contre les aérodromes allemands dans le nord de la France. Dans cette optique, à partir de février 1944, la plupart des squadrons de P-47 sont d'ailleur transférés de la 8th à la 9th Air Force.

Photo ci-dessous: P-47C Thunderbolt du 56th Fighter Group en Angleterre, en 1943.


La version P-47D entre en service en Angleterre dans les premiers mois de l'année 1944. Bénéficiant d'améliorations telles que la puissance moteur, la capacité accrue du réservoir de carburant, un blindage renforcé. A l'instar du P-51D, une sous-variante tardive du P-47D voit le jour dans les derniers mois de la guerre en Europe, équipée d'une verrière intégrale permettant une vision 360°.



Organisation et ordre de bataille en mai 1945.

Lorsque prennent fin les hostilités en Europe, en mai 1945, la 8th Air Force américaine est devenue dans l'histoire humaine la plus formidable flotte aérienne jamais rassemblée: 486,000 hommes et 17,000 avions, répartis en trois divisions aériennes. 40 groupes de bombardement lourd [Heavy Bombardment Groups], 26 de B-17 Flying Fortress et 14 de B-24 Liberator. 15 groupes de chasse [Fighter Groups], 13 de P-51 Mustang, 1 de P-38 Lightning et 1 de P-47 Thunderbolt. Ainsi qu'un groupe de reconnaissance photo composé de P-51, L-5 Sentinel et Spitfire Mk.IX, un groupe de reconnaissance bombardement Pathfinders avec des B-17, B-24, B-25 Mitchell, B-26 Marauder et P-38.

En juillet 1945, la 8th Air Force est transférée sur le théâtre d'opération du Pacifique Central et déménage pour s'installer sur l'île d'Okinawa. C'est là qu'elle entame sa conversion sur B-29 Superfortress, le 8 août. Elle restera dans cette zone jusqu'au début juin 1946, avant de s'installer brièvement dans les îles Mariannes (Tinian, Saipan et Guam). Finalement, le 7 juin 1946, elle regagne les Etats-Unis, où elle deviendra bientôt une des composantes essentielles du nouveau Strategic Air Command, ou SAC, pendant toute la durée de la Froide. Elle sera également déployée dans la péninsule coréenne entre 1950 et 1953, avec des B-29 Superfortress, des F-82 Twin Mustang, des F-80 Shooting Star et des F-86 Sabre.


Article modifié le 16 avril 2020.


Sources principales:
Eighth Air Force (Wikipedia.org)
VIII Bomber Command (Wikipedia.org)