Opération Overlord - Mur de l'Atlantique et défenses allemandes

Le "Mur de l'Atlantique" (Atlantikwall) est le nom donné au système allemand de fortifications (bunkers, casemates, obstacles de plages, mines, pièces d'artillerie côtière, ...) mis en place par Erwin Rommel sur le littoral de l'Atlantique, de la Manche et de la Mer du Nord, qui s'étend du Golfe de Gascogne et la frontière espagnole jusqu'au nord de la Norvège, en passant par la Belgique, les Pays-Bas et le Danemark.



Construction du Mur de l'Atlantique.

A la fin de l'année 1942, après le débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord française (Opération Torch), le Haut-commandement allemand commence à envisager l'éventualité d'un débarquement allié dans le nord de la France, à partir de l'Angleterre. Eventualité qui devient quasi-certitude dans les premiers mois de 1944.

Auparavant, le 23 mars 1942, Adolf Hitler, en signant sa directive n°40 (1), a ordonné officiellement la construction d'un "Mur de l'Atlantique" et le renforcement des troupes allemandes sur le front de l'Ouest. L'organisation Todt, qui est déjà à l'origine des fortifications de la Ligne Siegfried (Westwall) sur la frontière occidentale de l'Allemagne, est désignée pour concevoir, entreprendre et superviser les travaux.


En décembre 1943, le maréchal Erwin Rommel se voit confier par Hitler une mission d'inspection des fortifications du Mur de l'Atlantique. En janvier 1944, il est nommé commandant du Heeresgruppe B, en charge de la défense du nord-ouest de l'Europe, des Pays-Bas jusqu'à la Loire, la zone la plus probable pour le débarquement allié.

Pour le Renard du Désert, le débarquement allié doit être repoussé sur les plages même dans les plus brefs délais, sinon la guerre est perdue. Ce système de défense sous-entend que les troupes allemandes doivent être placées le plus près possible du littoral.


Ci-dessous: les différents officiers généraux allemands responsables du Front Ouest. De gauche à droite, le maréchal Gerd von Rundstedt, Commandant suprême des troupes allemandes sur le Front Occidental (OB-West), le maréchal Erwin Rommel, commandant du Groupe d'Armées (Heeresgruppe) B, à qui incombe les systèmes de défense sur le littoral français et belge, le général Friedrich Dollman, qui dirige la 7ème Armée allemande stationnée en Normandie, et le général Hans von Salmuth, son homologue de la 15ème Armée allemande, dans le Pas-de-Calais.



Photo ci-dessous: von Rundsted et Rommel discutent lors d'une réunion à l'Hotel George V de Paris, le 19 décembre 1943.


Son supérieur, le maréchal Gerd von Rundstedt, commandant suprême des forces allemandes sur le front occidental (OB-West), au contraire, est partisan d'un système de défense mobile: des troupes armées et blindées seraient disposées en retrait dans les terres, celles-ci étant logiquement moins exposées aux attaques aériennes alliées, et qui livreraient combat après le débarquement ennemi. Il mise sur le fait que les Alliés, s'ils ne disposent pas rapidement d'un port, ne pourraient combattre longtemps. Hitler arbitre entre les deux et donne finalement raison à Rommel.


Vidéo ci-dessous: documentaire "Nazi Mégastructures" - EP01: "Mur de l'Atlantique".



Défenses allemandes: fortifications, artillerie et obstacles de plages.

Lors de son inspection de janvier 1944, Rommel estime que les défenses côtières telles qu'il les trouve sont inadaptées et insuffisantes. Il ordonne immédiatement leur renforcement. Sous sa direction, une ligne d'emplacement de tir abrité en béton renforcé le long des plages est construite, pour abriter des mitrailleuses, des armes anti-chars et de l'artillerie légère. Des champs de mines et des obstacles anti-chars sont posées sur les plages elle-même et des obstacles sous-marins ainsi que des mines posées juste à la limite de marée. Le but étant de détruire les péniches de débarquement avant qu'elles aient pu débarquer leurs hommes ou véhicules.

A la date du débarquement allié, les Allemands auront ainsi posé plus de six millions de mines dans le nord de la France, sur les plages, à l'intérieur des terres et sur les routes menant aux plages. Sur les plages et dans les zones susceptibles de voir atterrir des planeurs alliés, les Allemands plantent des poteaux pointus que les troupes allemandes appellent les Rommelspargel ("Asperges de Rommel"), sur lesquelles ils fixent des mines, chargées de bloquer les barges de débarquement à marée haute. Et à marée basse, les soldats alliés auront à parcourir au moins 300m ou 350m à découvert, empétrés dans tous ces obstacles et ces barbelés.


Pour contrer les parachutages ennemis, Rommel fait également inonder les basses terres de la péninsule du Cotentin jusqu'aux Pays-Bas.

Le Mur de l'Atlantique est composé principalement de batteries d'artilleries côtières, de postes de direction de tir, de bunkers, de nids de mitrailleuses, de "tobrouk", des tourelles de chars servant de pièces d'artillerie, de stations radars de surveillance et des champs de mines.
  • Artillerie côtière. Les batteries d'artillerie représentent le coeur du Mur de l'Atlantique. Autour d'elles, se développent les Widerstandsnest ou WN ("nids de résistance"). Ces batteries sont généralement constituées d'un canon de marine de gros calibre autour duquel on construit un bunker, généralement dans cet ordre au vu de la taille imposante des pièces d'artillerie. Certaines de celles-ci ont une portée de plusieurs dizaines de kilomètres, et des batteries présentes dans le Pas-de-Calais sont capables d'envoyer leurs obus jusque sur le territoire anglais, de l'autre côté du Channel (La Manche).

  • Postes de direction de tir. Ces bunkers sur plusieurs niveaux abritent les instruments électroniques et optiques de tir, les télémètres, nécessaires à l'orientation du tir des canons de la batterie d'artillerie.
  • Tobrouks. ces petits bunkers individuels sont des sortes d'abris ouverts sur l'extérieur dans leur partie supérieure par un trou. Les personnels affectés dans les tobrouks étaient généralement équipés de mitrailleuses MG-34 ou MG-42. Les tobrouks pouvaient également être recouverts d'une cloche d'acier ou d'une tourelle de char du même diamètre.



Lorsque les Alliés débarquent le 6 juin 1944, le Mur de l'Atlantique est toujours en construction et non achevé. A cette date, sa construction a nécessité onze millions de tonnes de béton et environ un million de tonnes d'acier pour les armatures.

Le Jour J, 15,000 ouvrages betonnés ont été construit tout le long du littoral, de la frontière espagnole au nord de la Norvège, qui auront nécessité l'emploi de 450,000 ouvriers de l'Organisation Todt, volontaires ou forcés. Contrairement à l'image diffusée par la propagande nazie, le Mur de l'Atlantique n'était pas un système de défense continu. Dans bien des endroits, il était encore non finalisé ou incomplet, en ce début de juin 1944. Schématiquement, l'Atlantikwall se compose de quatre sous-ensembles:

  • Forteresses. Chacun des grands ports du littoral français a été transformé en véritable forteresse (Festung), hérissée de canons de gros calibre destinés à repousser une éventuelle flotte d'invasion. Exemples: Saint-Nazaire, Lorient, Brest, Saint-Malo, Cherbourg, Le Havre, Boulogne, Calais et Dunkerque.

    Vers l'intérieur des terres, la forteresse est protégée par une première ceinture défensive, formant un arc de cercle d'une dizaine de kilomètres, puis par une seconde, située aux portes mêmes de la ville. Là était d'ailleurs la faiblesse du système défensif allemand.

    Aménagées trop hâtivement, certaines de ces lignes de défenses ne résisteront pas longtemps. Par exemple, l'assaut mené fin juin 1944 contre Cherbourg par les troupes américaines débarquées sur Utah Beach, alors que les batteries côtières lourdes tenaient quant à elle en respect la flotte alliée, qui entreprit de bombarder Cherbourg pendant l'assaut terrestre.

    Certaines de ses forteresses (Dunkerque, Calais, Lorient, Saint-Nazaire) ne se rendront qu'après la capitulation inconditionnelle du Troisième Reich à Berlin, le 8 mai 1945.

  • Batteries d'artillerie côtière. entre les forteresses, les Allemands ont aménagé des batteries d'artillerie côtière, dépendantes soit de la Wehrmacht, soit de la Kriegsmarine. Distantes les unes des autres de plusieurs kilomètres, elles ont pour mission de tirer vers le large et de s'opposer à l'arrivée d'une flotte d'invasion. Elles sont équipées de pièces d'artillerie, le plus souvent d'un calibre de 100 à 155mmn, groupées généralement par quatre, plus rarement par six.

    On dénombre plus d'une vingtaine de batteries principales sur les côtes de la baie de Normandie entre Le Havre et Cherbourg. Chacune d'entre elles est protégée par un périmètre défensif délimité par des champs de mines et un réseau de barbelés, comprenant des positions de mitrailleuses, de mortiers et de canons anti-aériens, reliées par des tranchées.

    Photos ci-dessous: 1° Bunker "maquillé" en maison normande, pour tromper les aviateurs alliés. 2° artillerie côtière allemande. 3° Canon de 50mm installé sur un "Tobrouk", avec tranchée menant à la batterie de Merville.




    Placées à l'origine dans des cuves à l'air libre, les pièces d'artillerie se révèlent vulnérables lors des bombardements aériens alliés, en forte recrudescence à partir de 1943. Pour les protéger davantage, Rommel ordonne de les placer sous d'épaisses casemates de béton. Cette opération est loin d'être achevée au printemps 1944 et, par précaution, un certain nombre de pièces sont discrètement enlevées de leurs emplacements pour être dissimulées plus à l'arrière des terres.

    Lors du débarquement, les batteries d'artillerie côtière allemandes n'offriront qu'une assez piètre résistance aux navires alliés, qui en viendront à bout sans trop de difficultés.

  • Nids de résistance. Les Widerstandsnest (WN), implantés à proximité immédiate des plages, sur les falaises, les dunes ou les digues, sont des ouvrages plus légers que les batteries côtières. Ils sont destinés à la défense rapprochée contre les troupes d'assaut.

    Ci-dessous: le poste de tir WN62 face à Omaha Beach, occupé par 19 soldats allemands dont le jeune Heinrich Severloh. Jusqu'à 15h, avec sa mitrailleuse MG42, Severloh tirera environ 12,000 cartouches avant de se retirer, causant de lourdes pertes aux unités d'assaut américaines. Il sera l'un des trois occupants de ce nids de résistance à réussir à s'échapper et à survivre.


    Un WN se compose en général d'une ou deux casemates équipées de canons de moyen calibre (50, 75 ou 88mm) disposés de manière à prendre les grèves en enfilade, de "tobrouks", de positions de mortiers, de mitrailleuses MG-42 et de pièces antiaériennes, le tout étant relié par un réseau complexe de tranchées.

    Au printemps 1944, on dénombre pas moins de deux cent Widerstandsnest le long des côtes de la baie de Normandie. Sur les 7km de plage entre Vierville-sur-Mer et Colleville-sur-Mer, connu sous le nom de code Omaha Beach, on en compte quinze, numérotés WN60 à WN74 (2).

    Photos ci-dessous: 1° Réseau de tranchées d'un WN, surplombant Omaha Beach. 2° Casemate principale du WN62 (Point de Résistance).



    Dans ce secteur que les Alliés appelleront bientôt Bloody Omaha ("Omaha la Sanglante"), ces ouvrages WN de défense rapprochée causeront des pertes terribles dans les unités d'assaut des 1ère et 29ème Division d'infanterie américaine, le 6 juin 1944.

  • Obstacles dressés sur les plages. Destinés à détruire, immobiliser ou couler les péniches de débarquement, ou dans l'arrière pays, pour lutter contre les troupes aéroportées et les planeurs ennemis.

    En premier lieu, des réseaux de poteaux en bois, appellés "Asperges de Rommel", des fils de fer barbelé, des "Portes Belges" (ci-dessous) ou "Elément C", recupérés sur les anciennes fortifications belges en 1940 et qui ne sont que des poteaux en acier assemblés ressemblant à des portes d'étables.


    Des "Hérissons tchèques", constitués de trois poutrelles métalliques rivetées et assemblées l'une à l'autre au moyen de plaques, viennent compléter ce dispositif défensif.


    Rommel a une imagination débordante en ce qui concerne les systèmes de défense côtière: lance-flammes intégrés aux blockhaus, chars radio-commandés bardés d'explosifs et surnommés Goliath, fils de fer barbelé reliant ses "Asperges" surmontées de mines, ...

La région la plus fortifiée de l'Atlantikwall et la mieux équipée est sans conteste celle qui se trouve dans le Pas-de-Calais, la plus proche en distance de la Grande-Bretagne et le lieu du débarquement allié supposé le plus probable par le haut-commandement de la Wehrmacht.

Les troupes utilisées pour défendre les ouvrages sont en général de faible valeur combative: une majorité d'entre-elles sont des hommes déclarés inaptes au combat des unités mobiles. On y trouve également des étrangers enrôlés combattant sous l'uniforme allemand, et en particulier des Russes ou des Ukrainiens, et même quelques membres de la Freies Indien Legion ("Légion Libre Indienne").

Photos ci-dessous: deux soldats de la Légion Libre indienne sur un "Tobrouk" du Mur de l'Atlantique. 2° Soldats russes de la ROA capturés en Normandie le 6 juin 1944.



ROA-Russian-Soldiers-captured

Et pour completer ce système défensif, derrière ce Mur de l'Atlantique, en France, en Belgique et aux Pays-Bas, sont massés 700,000 hommes sous l'autorité de l'OB-West, commandé par le maréchal Gerd von Rundstedt.

En novembre 1943, Adolf Hitler a décidé, dans la possibilité de plus en plus certaine d'un débarquement allié, de renforcer les forces allemandes stationnées sur le front Ouest, mais celui-ci donne la priorité absolue aux unités de la 15ème Armée, stationnée dans le Pas-de-Calais. Le nombre de divisions présentes en France, en Belgique et aux Pays-Bas passera d'une trentaine en novembre 1942, à près de 60 au printemps 1944.

La plus grande partie d'entre elles sont cependant massées à l'arrière des terres, sur un front très large allant de la Bretagne aux Pays-Bas, placées sous les ordres du maréchal Erwin Rommel, commandant du Heeresgruppe (Groupe d'armées) B.

En Basse-Normandie, Calvados et péninsule du Cotentin, Rommel dispose des 91ème, 243ème, 352ème, 709ème, 711ème et 716ème Divisions d'infanterie, auxquelles s'ajoutent le 6ème régiment de parachutistes, la 30ème brigade mobile et la Brigade russe Bouniatchenko.

Plus ou moins confiant dans la valeur de ces troupes, et se sachant pratiquement dépourvu d'aviation, Rommel, qui est persuadé que le sort de la bataille se jouera dès les premières heures, souhaite pouvoir disposer rapidement de divisions blindées pour repousser l'invasion. Mais il se heurte sur ce point aux oppositions du Führer. En définitive, seule la 21ème Division Panzer, stationnée autour de Saint-Pierre-sur-Dives, sera à proximité des côtes du Calvados le Jour J.

Et c'est pour obtenir d'Hitler l'autorisation de placer deux nouvelles unités blindées, la 12ème Division panzer-SS Hitlerjugend et la Division Panzer Lehr de part et d’autre de la baie des Veys, qu'il quitte son QG de la Roche-Guyon pour l'Allemagne le 5 juin 1944. Il veut également profiter de ce voyage pour célébrer le lendemain, 6 juin, le cinquantième anniversaire de sa femme Lucie (3).

Carte ci-dessous: positions des divisions allemandes en Normandie, le 6 juin 1944.



(1) Fuehrer Directive No.40 Append-C (23 March 1942).

(2) Défenses allemandes WN sur Omaha Beach.

(3) Lucia Maria Mollin, plus communément appellée "Lucie".
Née le 6 juin 1894 et décédée à Stuttgart le 26 septembre 1971.



Sur le même sujet, voir également:

- D'iberville, Saviez-vous que..., 2094 "S'éloigner ou bétonner"

- D'Iberville, Saviez-vous que..., 2095 "Arbitrer le béton"

- D'Iberville, Saviez-vous que..., 2096 "Vice de construction"

- D'Iberville, Saviez-vous que..., 2097 "Bricolage meurtrier"

- D'Iberville, Saviez-vous que..., 2099 "L'état des lieux"

- D'Iberville, Saviez-vous que..., 2100 "A quelle distance?"


Série documentaire "Grandes Batailles de la Seconde Guerre mondiale"
(Henri de Turenne et Daniel Costelle) - Vidéo Youtube.

"Les Grandes Batailles" est une série d'émissions télévisées historiques de Daniel Costelle, Jean-Louis Guillaud et Henri de Turenne diffusée à la télévision française dans les années 1960 et 1970, qui décrit les principales batailles de la Seconde Guerre mondiale ainsi que le procès de Nuremberg. Les émissions donnent la parole aux officiers ayant participé à ces batailles ainsi qu'à des historiens. Ces interventions alternent avec des extraits de reportages. Les commentaires sont d'Henri de Turenne.


La Bataille de Normandie.

La bataille de Normandie est l'une des grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale sur le théâtre européen. Elle commence par l'Opération Overlord dont la première action est l'opération Neptune, c'est-à-dire le débarquement proprement dit des Alliés en Normandie le 6 juin 1944 (également appelé D-Day ou Jour J). Trois divisions aéroportées (deux américaines et une britannique) sont parachutées à chaque extrémité du secteur d'assaut, entre minuit et deux heures du matin. A l'aube, elles sont suivies par six autres divisions (trois américaines, deux anglaises et une canadienne) qui débarquent sur cinq plages désignées par les noms de code Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword, soutenues par une totale maîtrise de l'espace aérien et un puissant appui de l'artillerie navale, pour briser le "Mur de l'Atlantique". La bataille de Normandie se termine le 21 août par la fermeture de la poche de Falaise, ouvrant la voie à la Libération de Paris le 25 août.












(Article modifié le 4 juin 2019)


Sources principales:
Saviez-vous que... (Blog D'Iberville)
D-Day Normandie 1944 - Débarquement et bataille de Normandie
Operation Overlord (Wikipedia.org)

Opération Overlord - Planification et préparatifs alliés

Overlord, nom de code du débarquement allié en Normandie, est la plus grande opération militaire de la Seconde Guerre mondiale. Elle se déroule en France, du 6 juin 1944, le "Jour J" (D-Day), jusqu'à la libération du Havre, le 12 septembre 1944. En passant par la libération de la Bretagne (août), l'élimination de la poche allemande de Falaise (14-21 août) et la libération de Paris (25 août).

Introduction.

L'Opération Overlord est non seulement la plus grande opération de débarquement de la guerre, mais c'est également, à ce jour, la plus grande jamais entreprise dans l'Histoire, tant du point de vue de la logistique que des moyens humains et matériels mis en oeuvre. Trois millions de soldats, aviateurs et marins alliés, y participent, dont un million et demi d'Américains, un million d'Anglo-Canadiens, et divers contingents d'autres pays alliés: français libres, belges, néerlandais, norvégiens, polonais et tchèques. 11,000 avions et 6,800 navires de guerre ou de transport.

L'objectif stratégique est l'ouverture du "Second Front" en Europe, que Joseph Staline réclame à cors et à cris depuis la mi-1942. La décision d'ouvrir ce second front est prise lors de la conférence de Casablanca, au Maroc, en janvier 1943, une réunion au sommet entre Winston Churchill et Franklin Roosevelt.

Overlord ("Suzerain") désigne les plans d'ensemble alliés, avec divers autres noms de code pour les opérations annexes:

  • Round-Up, rassemblement des troupes d'invasion alliée dans le sud de l'Angleterre.
  • Neptune, désignant les opérations navales dans la Manche et la phase d'assaut amphibie du Jour-J proprement dite, en y incluant les déploiements aéroportées,
  • Fortitude et Bodyguard, opérations d'intoxication (Deception Operations) menée avec l'aide des mouvements de Résistance français, belges et néerlandais, en vue de tromper les Allemands sur le lieu et la date du débarquement,
  • Glimmer et Taxable, bombardements de diversion du RAF Bomber Command contre les batteries côtières et les stations radar du Pas-de-Calais, également pour tromper les Allemands sur le lieu véritable du débarquement,
  • Titanic, largages de mannequins ou de poupées parachutistes (1m20-1m30) derrière les lignes ennemies dans la zone du débarquement et le Calvados, pour semer la confusion chez l'ennemi. Cet épisode est illustré dans le film The Longest Day ("Le Jour le plus long") de Darryl Zannuck.

L'assaut initial du Jour-J sera menée par la plus grande flotte de tous les temps jamais rassemblée, plus de 6,800 navires et 850,000 marins, acheminant six divisions, trois américaines, deux britanniques et une canadienne, totalisant un effectif de 135,000 hommes de troupes, vers cinq zones de débarquement ayant reçu les noms de code d'Utah Beach et Omaha Beach pour les Américains, Gold Beach et Sword Beach pour les britanniques, Juno Beach pour les Canadiens.

Cet assaut terrestre sera précédé de quelques heures par des largages de parachutistes et d'atterrissage de planeurs (20,000 hommes) aux deux extrêmités de la zone de débarquement désignée. Y sont affectées les 82ème et 101ème Divisions aéroportées américaines (13,500 hommes), dans la péninsule du Cotentin, face à Utah Beach, et la 6ème Division aéroportée anglaise (6,500 hommes), chargée de neutralisé un certain nombre de batteries côtières et de point de passage sur l'Orne et la Dive, dans la région de Caen.


Préparatifs d'invasion allié.

La conférence alliée Symbol, également appelée "Conférence Anfa", se tient à l'hôtel Anfa de Casablanca, au Maroc, du 14 au 24 janvier 1943. Elle réunit le Premier ministre britannique Winston S. Churchill et le président américain Franklin D. Roosevelt. Joseph Staline, accaparé à Moscou par la conduite des opérations sur le front de l'Est, a décliné l'invitation.

Sont également présents les deux généraux français Henri Giraud et Charles de Gaulle. Le premier est "Commandant en chef civil et militaire" et gouverne de fait l'Afrique du Nord et l'Afrique Occidentale françaises, qui étaient jusqu'à peu encore (novembre 1942) sous administration de Vichy.

De Gaulle, président du Comité National Français (CNF) de Londres et incarnant de son côté la France Libre combattante depuis juin 1940, furieux du soutien américain à Giraud, refuse dans un premier temps d'y participer. Mais, en raison des pressions de Churchill qui menace de reconnaître Giraud comme seul et unique commandant en chef français et de couper l'aide britannique au CNF, le bouillant général change finalement d'avis. Malgré les photos et films d'"entente cordiale" diffusés par la propagande alliée, les désaccords et dissensions entre les deux Français persisteront encore pendant longtemps.

Photo ci-dessous: "poignée de main amicale" Giraud-De Gaulle, lors de la Conférence Symbol. Malgré ces apparences d'"entente cordiale", de graves divergences et désaccords entre les deux Français subsisteront encore longtemps.

L'objectif de cette conférence est de faire le point sur la situation militaire générale alliée, dans l'une des périodes les plus délicates du conflit en Europe, à savoir le moment où les Allemands commencent à enregistrer leurs premiers revers: Stalingrad en URSS, opération Torch, victoire britannique d'El Alamein et campagne d'Egypte-Libye en Afrique du Nord. Mais il s'agit surtout d'élaborer la stratégie globale future des Anglo-Américains sur le continent. Staline, dans un message insistant, affirme qu'il n'existe qu'un seul problème vraiment important pour lui: l'ouverture d'un second front en Europe, pour diminuer la pression des forces allemandes et soulager le Front de l'Est.

Les Alliés pensent, comme Staline, qu'il est urgent d'ouvrir un second front à l'Ouest, mais ne sont pas d'accord sur le lieu. Roosevelt et son état-major sont partisans d'un débarquement sur les côtes françaises dans quelques mois, alors que Churchill est pour une attaque surprise de l'Italie, qu'il appelle le "Ventre mou de l'Europe", ce qui permettrait ensuite de faire la jonction avec les partisans de Tito, et aussi d'attaquer directement le Troisème Reich par le sud, avec l'arrière-pensée de battre de vitesse les Soviétiques et d'arriver avant-eux jusqu'à Berlin.

En même temps que Churchill promet aux Américains d'être prêt à appuyer leur plan de débarquement en France, prévu initiallement le 1er mai 1944, mais qui sera reporté à plusieurs reprises, Roosevelt autorise la préparation d'un débarquement en Italie, et plus précisément en Sicile.

Egalement lors de cette conférence, les Anglo-Américains conviennent d'intensifier et de "rationaliser" la campagne alliée de bombardement stratégique, les Britanniques de nuit, les Américains de jour, sur le territoire du Troisième Reich et en Europe occupée, afin de détruire l'industrie de guerre nazie et les voies de communications. C'est au maréchal de l'air anglais sir Arthur Harris, commandant du RAF Bomber Command, qu'est confiée cette directive. Et il sera finalement convenu d'exiger des pays de l'Axe, c'est-à-dire l'Allemagne, l'Italie et le Japon, lorsque le conflit prendra fin, une capitulation inconditionnelle, non négociable.

Points récapitulatifs de la Conférence Symbol:

  1. Ouverture d'un second front en Europe de l'Ouest.
  2. Accroissement de l'aide américaine (Pret-Bail ou Lend-Lease Act) à l'Union Soviétique.
  3. En attendant le débarquement principal en France, débarquement allié en Sicile.
  4. Intensification de la campagne de bombardement stratégique contre le Troisième Reich.
  5. Commandement conjoint De Gaulle-Giraud des forces combattantes françaises.
  6. Capitulation totale et inconditionnelle des puissances européennes de l'Axe.

Désignation de Dwight D. Eisenhower à la tête du SHAEF.

Lors de la Conférence Quadrant I de Téhéran, fin novembre 1943, après s'être mis d'accord sur le lieu et la date du débarquement, les gouvernements alliés ont maintenant la difficile tâche de choisir un nouveau commandant en chef et un état-major combiné mieux adapté à la situation. En cette fin d'année 1943, les Etats-Unis fournissant la majeure partie des effectifs humains et du matériel alloué à l'opération Overlord, la logique miliraire voudrait que cela soit un officier supérieur américain qui soit désigné pour remplacer le lieutenant-général britannique Frederick E. Morgan au commandement supreme des forces expéditionnaires alliées (SHAEF) qui s'apprêtent à déferler sur le continent.

Photo ci-dessous: Eisenhower parlant avec des parachutistes du 502ème Régiment de la 101ème Division aéroportée dans la soirée du 5 juin 1944, peu avant leur embarquement pour la Normandie.

A Washington, le président Franklin D. Roosevelt ne peut se passer du chef d'état-major de l'US Army, le général George C. Marshall, absorbé par la conduite des opérations en Asie du Sud-Est et dans le Pacifique. Si bien que Marshall désigne un de ses subordonnés réputé pour son sens de l'organisation et de la diplomatie. Un diplômé de West-Point qui n'a aucune expérience du combat sur le terrain: le général Dwight D. Eisenhower, bientôt surnommé par ses troupes "Ike". En bref, le parfait officier d'état-major. Mais Eisenhower a au moins le mérite d'être apprécié par les Britanniques, car c'est lui qui a supervisé l'opération Torch et les opérations alliées en Afrique du Nord (NATOUSA) puis en Méditerrannée (1942-1943).

Les Alliés créent en décembre 1943 un nouveau commandement unifié mieux adapté et destiné à prendre la suite du COSSAC de Morgan. C'est le Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force (SHAEF), ou "Commandement Suprême des Forces Expéditionnaires Alliées.

Le SHAEF prend ses quartiers à Teddington (aujourd'hui Bushey Park), dans la région londonienne. Franklin Roosevelt et Winston Churchill annoncent publiquement la nomination d'Eisenhower à la tête du SHAEF le 24 décembre 1943, et ce dernier prend officiellement ses fonctions au début du mois de janvier 1944.

Organisation générale du SHAEF:

  • Commandant suprême allié: général Dwight D. "Ike" Eisenhower (US),
  • Commandant suprême adjoint: maréchal de l'air Arthur W. Tedder (UK),
  • Commandant des forces terrestres: maréchal Bernard L. Montgomery (UK),
  • Commandant des forces aériennes: maréchal de l'air Trafford Lee-Mallory (UK),
  • Commandant des forces navales: amiral Bertram H. Ramsey (UK).

Opérations d'intox Fortitude et Bodyguard.

Au début de l'année 1944, les Allemands ont maintenant la quasi-certitude que les Alliés vont débarquer en Europe de l'Ouest. Mais quand? Et surtout où? La plupart des stratèges et des officiers supérieurs de la Wehrmacht pensent qu'ils débarqueront sur les côtes du Pas-de-Calais, c'est-à-dire logiquement l'endroit où la Manche est le plus étroit, le chemin le plus court entre la France et l'Angleterre, et Adolf Hitler lui-même partage cet avis.

Certains Allemands sont d'un avis différent et pensent à la Normandie. Hitler partage également cette hypothèse mais reste persuadé que le débarquement principal aura lieu dans le Pas-de-Calais, et que si les Alliés débarquent dans la baie de Normandie, il ne peut s'agir que d'une attaque de diversion. Cette incertitude du Haut-commandement (OKW) arrive aux oreilles des services secrets britanniques, qui vont alors s'ingénier à conforter leurs services de renseignements (Abwehr) dans leur persuasion que le Pas-de-Calais est bien l'objectif principal des Alliés.

Ainsi naissent les opérations Fortitude ("Courage") et Bodyguard ("Garde du Corps"), noms de code d'un plan d'intoxication, dans le but de tromper les Allemands sur le lieu réel du débarquement allié. Intoxication (en anglais "Operation Deception") qui se poursuivra même après le débarquement du Jour-J, en faisant croire que l'assaut initial (Opération Neptune) n'est en fait qu'une diversion.

Bien que l'imaginaire populaire et le Septième Art ait retenu pour la postérité Fortitude, opération de diversion spécifique à Overlord, celle-ci s'inscrit dans un plan général allié plus vaste encore: Bodyguard.

Pour leurrer les avions allemands de reconnaissance, que la DCA et les intercepteurs alliés s'ingénient à "râter", des pseudos navires de débarquement, faits de bric et de broc, encombrent les estuaires, les criques et les ports. Un complexe pétrolier géant, en carton pâte, est construit près de Douvres.

Photos ci-dessous: char Sherman en caoutchouc gonflable. 2° Canon anglais de 25 livres en contre-plaqué.


Dans les champs, sont disposés quantités de chars... en caoutchouc gonflables! Des véhicules et des canons en contreplaqué s'alignent le long des routes. La nuit, des convois de camions, toujours les mêmes, sillonnent inlassablement, dans les deux sens, les routes anglaises du Kent, face au Pas-de-Calais. Dans cette même région, une équipe de techniciens anglais entretient à l'intention des services d'écoutes allemands une activité radio débordante entre des unités aussi virtuelles les unes que les autres.

Les Alliés vont même jusqu'à créer deux armées fantômes. La 4ème Armée britannique stationnée en Ecosse et destinée à la Scandinavie. Et surtout la 1ère Armée américaine, positionnée en face du Pas-de-Calais, précisément là où les Allemands prévoient et attendent le débarquement principal ennemi, commandée par le bouillant général George Patton, en disgrâce après le scandale des soldats gifflés en Sicile.

L'opération Fortitude fonctionnera au-delà de toutes les espérances. Bien après le 6 juin 1944, Hitler restera persuadé que le débarquement en Normandie n'est qu'une diversion, destiné à lui faire dégarnir les troupes présentes dans le Pas-de-Calais afin que puisse y être lancé, dans un deuxième temps, l'assaut décisif. Ses meilleures unités (15ème Armée) resteront donc l'arme au pied jusqu'à la fin juillet 1944, scrutant désespérément un horizon vide, alors que le sort de la guerre se joue en Normandie. Elle se subdivise elle-même en deux composantes: une américaine, l'opération Quick Silver ou Fortitude South, destinée au Pas-de-Calais, et une britannique, l'opération Skye ou Fortitude North, destinée à la Scandinavie.

Les forces aériennes britanniques participent également à cette intoxication. Dans cette intention, deux opérations spécifiques, menées conjointement, voient le jour, Glimmer et Taxable. Le Squadron 218 de la Royal Air Force, en particulier, est chargé de larguer au large des côtes du Pas-de-Calais des centaines de milliers de bandes metalliques pour tromper les radars allemands sur une "flotte fantome".


Pour parachever cette gigantesque tromperie, les Alliés ont également planifié l'opération Titanic. Dans la nuit précédant le débarquement, parallèlement aux déploiements des vrais parachutistes, ils procéderont à des largages de "poupées parachutistes" désignées Rupert, mesurant entre 1m20 et 1m40, plus à l'intérieur des terres du Calvados, particulièrement autour de Caen et sur les rives de la Dive (secteur britannique), ou de Marigny (secteur américain), de manière à semer un maximum de confusion chez les Allemands.


Opération Round-Up: équipement et entraînement des troupes alliées.

Pour exécuter l'Opération Overlord, les généraux alliés s'accordent sur la nécessité d'une concentration de troupes en Grande-Bretagne en prévision d'une invasion de plus grande envergure de la France, opération surnommée Round-up ("Rassemblement"). Dans un premier temps, dans le cadre de la préparation, les armées alliées doivent s'équiper, se former, s'entraîner, pour mener à bien des missions diverses et précises. Les troupes américaines et canadiennes profitent des installations militaires sur leur sol, mais il faut déjà penser à l'acheminement du matériel et des hommes en Angleterre, base de lancement pour le débarquement en Normandie.

A partir de la fin 1942, les navires de ligne civils, dont les paquebots de luxe Queen Elizabeth et Queen Mary, et les premiers navires de transport de troupes et de matériel quittent la cote Est des Etats-Unis et gagnent la Grande-Bretagne. Avec le péril des U-Bootes, cela n'est pas une mince affaire, car à cette période, la bataille de l'Atlantique entre les sous-marins allemands et les navires de surface alliés atteint des sommets.

A partir de juillet 1943, cette lutte sans merci semble gagnée par les Alliés, qui coulent de plus en plus de bâtiments de la Kriegsmarine, alors que les sous-mariniers allemands détruisent de moins en moins de convois alliés.

Au début de 1944, malgré le danger persistant des sous-marins ennemis, les GIs franchissent désormais l'Atlantique au rythme mensuel de 45,000 à 50,000 hommes. Une fois débarqués en Angleterre, ils sont installés à divers endroits du pays, et parfois manquant de place, certains d'entre-eux doivent même être logés chez l'habitant.

Photo ci-dessous: des GIs "logeant chez l'habitant" traversent un village côtier anglais, en mai 1944.

Dans le cadre d'Overlord, le programme économique du Pret-Bail (Lend-Lease Act) destiné au Royaume-Uni bat son plein, et les Américains livrent des centaines de véhicules, des bâtiments de guerre, et de l'armement individuel aux Britanniques, en l'échange de l'utilisation de terres occupées jusqu'alors par les troupes du Commonwealth. Le parc militaire britannique s'agrandit, tandis que la formidable puissance industrielle américaine fonctionne à plein régime.


Hobart's Funnies: les "Farces et attrapes" de Hobart.

La création d'une série de véhicules blindés destinés à des usages spéciaux pour mener l'assaut terrestre contre le Mur de l'Atlantique, sur le littoral normand, est devenu en cette fin d'année 1943 une necessité tactique.

Les premiers Hobart's Funnies sont tout d'abord un petit groupe de véhicules blindés, et en particulier des chars lourds Churchill de la 79ème Division blindée britannique, spécialement modifiés en tirant les leçons de l'échec du débarquement de Dieppe en août 1942. Leur concepteur, le Major-Général Percy C.S. Hobart, commandant de cette division, est un ingénieur militaire et le beau-frère du maréchal Bernard Law Montgomery.

Le 14 août 1942, la 79ème Division britannique a été spécialement créée pour encadrer et mettre en oeuvre des chars du génie (1). En mars 1943, l'unité est proche de la dissolution faute de ressources, mais le maréchal Alan Brooke, chef d'état-major de l'Armée impériale britannique détaché à Washington, comprenant l'intérêt de tel chars, prend la décision de créer ces nouveaux véhicules.

La conception des véhicules et la formation des équipages est confiée à l'ancien Major-Général Percy Hobart, spécialiste et pionnier expérimenté de l'usage des blindés du génie dans les années trentes (2). Malgré le fait qu'Hobart ait été obligé de démissionner en raison de ses idées novatrices, lors de la déclaration de guerre britannique du 3 septembre 1939, il reprend du service comme simple caporal dans la Home Guard. Il profite bientôt du soutien de Winston Churchill et de cette mission pour réintégrer l'armée d'active et prendre le commandement de la 79ème Division blindée. Il n'accepte cependant cette nomination qu'à la condition que sa division soit activement impliquée dans les combats et qu'elle ne reste pas simplement une unité de développement ou de formation.

Cette étonnante panoplie de chars aux silhouettes inhabituelles sur un champ de bataille est surnommée par dérision Funnies ("Clowneries" ou "Farces & Attrapes"), puis baptisée à partir du nom de l'inventeur. Plusieurs des idées mises en application ont déjà été essayées, examinées ou sont en développement aussi bien au Royaume-Uni que dans d'autres nations.

Par exemple, le "char fléau" anti-mines Scorpion, basé sur un Matilda Mark II, a déjà été employé pendant la campagne de Montgomery en Afrique du Nord, pour se frayer des chemins dégagés à travers les champs de mines allemands. Des T-34 soviétiques ont également été modifié de manière similaire.

Les Funnies furent la plus grande et la plus complète collection de véhicules du génie militaire de cette époque.

Début 1944, Hobart fait la démonstration à Eisenhower et à Montgomery d'une brigade de chars amphibies Duplex-Drive (DD), de "chars fléau" anti-mine (Crab), et de chars lance-flamme AVRE "Armoured Vehicle, Royal Engineers" Churchill, surnommé Crocodile. Montgomery est rapidement convaincu qu'ils seraient nécessaires aux forces américaines et leur "offre" la moitié de tous les véhicules alors disponibles.

Eisenhower est favorable à l'utilisation des chars amphibies, mais laisse la décision de l'emploi des autres versions au général Omar Bradley qui, lui-même, la délégue à ses officiers. Ces derniers ne retiennent aucun des autres concepts parce qu'ils pensent que de tels engins exigeraient une formation spécialisée complémentaire de leur équipages et nécessiteraient des blindés de soutien et de protection.

La "Ménagerie de Hobart": la majorité des conceptions sont des versions spécialement modifiées du char Churchill britannique ou du char M4 Sherman américain. Chacune de ces configurations ne seront construite qu'en petit nombre.

  • Char mortier Petard. L'AVRE (Armoured Vehicle, Royal Engineers) Petard est un char Churchill adapté pour bombarder les positions défensives allemandes. Son canon de base de 75mm a été remplacé par un mortier de 290mm.

    Celui-ci tire un projectile de 18kg, surnommée la "poubelle volante" à cause de la forme de l'obus (3), à environ 137m de distance et se recharge de l'intérieur au rythme habituel de quatre coups par minute. Le projectile, rempli de napalm, est capable de détruire des obstacles tels que des barrages routiers et des bunkers. Les mitrailleuses de 7.92mm sont cependant conservées, l'une dans la tourelle, l'autre coaxiale dans la caisse. L'équipage est composé de six personnes: un commandant, un conducteur, un sapeur, un opérateur radio, un tireur au mortier et un second-conducteur/chargeur de mortier. l'AVRE Petard a un poids de 40 tonnes. Le ou les sapeurs du Royal Engineers pouvent facilement entrer et sortir du char par des trappes latérales. Les AVRE ont été également la base employée pour porter et actionner des équipements spéciaux. Ils inspirent les sous-versions suivantes.

    1. Bobbin. un AVRE doté d'un rouleau de 3.4m de large en toile renforcée de barres en acier qui, une fois déroulé, permet à lui-même et aux véhicules suivants de ne pas s'enfoncer dans le sable pendant le débarquement amphibie.

      L'expérience démontre que la toile supporte bien le passage de véhicules à roues mais qu'elle est rapidement abîmée par le passage de véhicules à chenilles. Aussi, dès que les conditions le permettent, elle est remplacée par des plaques ou des grilles métalliques.
    2. Fascine. Le AVRE Fascine est un char Churchill qui emporte un énorme fagot de bois de 2m à 3m de diamètre sur environ 4m de large, qui peut être déposé pour combler un fossé ou pour former une marche pour le passage des autres chars. Ce type d'équipement a été déjà testé et utilisé lors de la Première Guerre mondiale sur des chars Mark I pour combler des tranchées. La vision obstruée du conducteur necessite parfois l'intervention d'un autre homme pour le guidage. Certains essais sont même menés avec l'ajout d'un périscope mais ils ne sont pas concluants.

    3. Small Box Girder (SBG). Le Small Box Girder est un char Churchill qui peut déployer un pont d'assaut d'environ 10m de longueur monté à l'avant du char, pour permettre le franchissement d'un fossé tout en assurant une couverture à son équipage. La capacité de charge est de 40 tonnes et le pont peut être mis en place en moins d'une minute.
    4. Bullshorn Plough. Le Bullshorn Plough est un char Sherman ou Churchill doté d'un rabot prévu pour excaver la terre devant lui. Cela lui permet lors de son passage de faire exploser et de rendre inoffensives les mines présentes.
    5. Double Onion. Il possède deux charges explosives disposées sur une plaque en métal à l'avant du chars qui pouvent, lorsqu'elles sont appliquées sur un mur en béton, le détruire tout en gardant une distance de sécurité pour le char et l'équipage.
  • ARK ou ARC. l'Armoured Ramp Karrier ou Armoured Ramp Carrier est un char Churchill sans tourelle avec des rampes extensibles à chaque extrémité. Il est créé pour permettre le passage d'obstacles en se déployant pour former un pont. Les autres véhicules pouvaient ainsi lui rouler dessus.

    Deux modèles avec des rampes différentes plus ou moins larges furent créées.

  • Char lance-flamme Crocodile. le Crocodile est un Churchill converti en char lance-flamme en remplaçant la mitrailleuse de caisse par un lance-flamme. Il conserve donc la tourelle et le canon de 75mm de base.

  • Char fléau anti-mines Crab. Le Crab est un char Sherman modifié, équipé d'un fléau à mines.

    Le système "fléau" du Crab est un tabour rotatif sur lequel sont fixées 43 chaînes lestées qui font sauter les mines au passage du char. Un bouclier anti-souffle entre le fléau et le char donne une protection supplémentaire. La rotation du fléau Crab, estimée à 142 tours par minute, est obtenue par le moteur du char, contrairement au Matilda Scorpion d'Afrique du Nord, qui utilisait un moteur auxiliaire dédié et fragile.

    Une innovation importante sur ce char est l'addition des lames circulaires aux extrémités du rotor, qui permettent la coupe de fils barbelés, lesquels ont tendance à bloquer le fléau. Les bras du fléau pouvent être élevés et abaissés hydrauliquement et la version Matilda Mark II du Crab inclue un système qui adapte automatiquement la hauteur du rotor du fléau au niveau du sol afin de ne pas manquer les mines enterrées plus profondément.

    Une grande attention est prêtée au marquage du chemin dégagé lorsque le char traverse un champ de mines. Les Crab ont donc une paire de marqueurs remplis de craie en poudre qui s'écoule lentement sur l'extérieur et délimite les bords de l'itinéraire sûr. Ils sont également équipés d'un distributeur qui, périodiquement, laisse tomber des marqueurs lumineux ou des grenades fumigènes à des intervalles choisis. Pour plus d'efficacité, les déminages se font souvent avec plusieurs chars accolés côte-à-côte. Malgré cela, le fléau sur le tambour rotatif n'élimine pas toutes les mines.

    Le Crab se déplace à seulement 2km/h lorsqu'il fouette le sol et pendant cette manoeuvre, son canon doit être dirigé vers l'arrière, ce qui l'empêche de tirer. L'opération de déminage soulève aussi un important nuage de poussière. Mais, en dépit de tout cela, cela sera un véhicule efficace lors du Jour J et même après, principalement au cours des derniers mois du conflit où les Allemands recoureront massivement aux champs de mines pour ralentir l'avance alliée.

  • Char amphibie Duplex-Drive (DD). Le char DD, en raison de son double mode de propulsion, est un char amphibie Sherman capable de flotter grâce à une jupe imperméable gonflable en caoutchouc abaissable, équipé de deux hélices pour se propulser jusqu'à la terre ferme. Le char DD est généralement lancé à partir d'une barge de débarquement LCT au large de la plage. Les véhicules de ce type sont prévus pour donner l'appui blindé nécessaire aux premières vagues d'assaut sur les plages.

    Sur la mer relativement calme de Sword Beach, ils seront utilisés avec succès. Lancés à 4km de la plage, 32 des 34 chars atteignent la plage pour apporter une couverture à l'infanterie. Ils participent en partie à limiter les pertes sur cette partie de la plage. Les fantassins débarquèrent avec succès après les chars spéciaux qui parviennent à nettoyer la plage.

    Sur Gold Beach, la mer est plus agitée et les LCT débarqueront les chars directement sur la plage, plutôt que de risquer de les lancer en mer. En conséquence, au lieu d'être les premières unités à terre, les DD débarquèrent en même temps que les autres chars de combat.

    Sur Juno Beach, à 700m de la plage, 29 chars seulement pourront être lancés à cause de l'état de la mer. Ils arriveront peu après la première vague d'assaut, qui subira de lourdes pertes.

    Sur Utah Beach, deux escadrons de DD précéderont le débarquement de l'infanterie. 4 DD seront détruits lorsque leur LCT touche une mine et coule. Les 28 chars restants arriveront sur la plage avec succès. Cependant, les LCT transportant les chars DD étant rattrapés par les barges de débarquement LCI plus rapides, ils arriveront quinze minutes après le débarquement initial de l'infanterie.

    Sur Omaha Beach, en raison de la mer agitée et des vagues, 27 des 29 chars DD d'un des deux escadrons de chars amphibies, lancés à 5km du littoral, couleront, contribuant au taux élevé de pertes et ralentissant les progrès sur cette plage. Les 32 chars DD du second escadron seront rendus inopérant sur les LCT même, lorsque les tirs de l'artillerie allemande perceront leur jupe.


PLUTO et ports artificiels Mulberries.

Parmi tous les problèmes logistiques posés par le débarquement outre-Manche d'une armée mécanisée et grande dévoreuse de carburant, celui du ravitaillement en carburant était crucial. Une solution originale est avancée dès l'année 1942 par Lord Louis Mountbatten, alors chef des opérations combinées de la Home Fleet britannique, qui propose de mouiller un pipe-line sous-marin. Après bien des tâtonnements, des tubes semi-rigides finissent par être mis au point. Ils doivent acheminer le carburant de l'île de Wight jusqu'à Cherbourg. Pour les déposer sur les fonds marins, d'immenses tambours sont aménagés dans les cales de navires se prêtant à l'opération. Un autre système est également imaginé avec les "Conums", de gigantesques bobines de 15 mètres de diamètre, garnies de plusieurs dizaines de kilomètres de tubes et tirées par des remorqueurs.


L'opération reçoit le nom de code de PLUTO, l'acronyme de Pipe Line Under The Ocean. Le pipe-line sous-marin commencera à fonctionner à Cherbourg au début du mois d'août 1944. Cependant, dès le mois de juin, un autre système permet de ravitailler les armées alliées. Devant Port-en-Bessin et Sainte-Honorine-des-Pertes ont été aménagés des terminaux pétroliers, ravitaillés par des tankers ancrés au large. De là, part un réseau de canalisations destiné à acheminer rapidement le carburant nécessaire aux armées alliées en les suivant au fur et à mesure de leur progression.


Les Allemands ayant transformé tous les grands ports français en forteresses, il est hors de question pour les Alliés de s'en emparer de front. Ils ont cependant besoin d'infrastructures portuaires pour mettre à terre les quantités impressionnantes d'hommes, de matériel et de munitions nécessaires au succès d'Overlord. D'où l'idée, lancée par Winston Churchill lui-même, de recourir à des "ports artificiels" dont les différents éléments seraient fabriqués en Angleterre, puis remorqués à travers la Manche avant d'être assemblés devant les côtes normandes.

Outre la mise au point de plateformes sur pilotis pour le déchargement au large et de routes flottantes pour assurer la liaison avec la terre ferme, la partie la plus spectaculaire du projet Mulberry est sans doute la construction d'immenses blocs creux de béton, surnommés Phoenix, destinés à former la rade du port. Leur tonnage à vide va de 1,600 à 6,000 tonnes et les plus grands mesurent 60m de long sur 17m de large, avec la hauteur d'un immeuble de cinq étages.

Deux ports artificiels doivent être mis en place, l'un américain (Mulberry-A), devant Vierville-Saint-Laurent (Omaha Beach), l'autre britannique (Mulberry-B), en face d'Arromanches. Pour mener à bien ce projet titanesque, il faut ouvrir de multiples chantiers, employant au total 40,000 personnes.

Chacun des deux ports est abrité de la houle par une digue, parallèle au littoral, formée en partie de vieux navires coulés sur place, les Gooseberries, et complétée par des caissons Phoenix, énormes cubes creux de béton armé, remplis d'eau une fois mis en place afin de les stabiliser sur le fond. D'autres, disposés perpendiculairement au rivage, forment des môles sur les côtés. L'ensemble dessine ainsi une rade d'une superficie de 500 hectares. Plus au large, sont mouillés des brise-lames extérieurs, les Bombardons, grands flotteurs métalliques lestés et solidement ancrés.

Le déchargement des navires s'effectue sur des quais, capables de coulisser autour de pilotis d'acier en fonction de la montée ou de la descente des eaux. De là, le transit vers la terre ferme est assuré par des routes flottantes de plusieurs centaines de mètres chacune, constituées d'un assemblage de travées en métal reposant sur des caissons creux en béton. Grâce à leur flexibilité, elles montent ou s'abaissent en suivant le rythme des marées. Ce qui évite toute interruption dans les opérations de déchargement.

L'ensemble est complété à terre par l'organisation de parcs et d'entrepôts. Les routes existantes sont élargies tandis que de nouvelles sont ouvertes à travers champs pour permettre l'écoulement rapide vers le front de l'énorme flot de camions, de canons, de chars, de munitions et d'hommes.

Mais le 19 juin 1944, alors que les deux ports sont en voie d'achèvement, se lèvera dans la Manche une violente tempête. Elle durera trois jours et provoquera des dégâts considérables. Le Mulberry-A américain de Saint-Laurent est le plus sévèrement touché. Près de la moitié des Phoenix sont gravement endommagés, souvent percutés de plein fouet par des Bombardons à la dérive. Les quais et les chaussées flottantes sont balayés et disloqués.

Photo ci-dessous: destructions causées au Mulberry-A américain de Saint-Laurent.

Le Mulberry-B britannique d'Arromanches résiste mieux, mais est endommagé et nécessite d'importantes réparations. Lorsque la tempête s'apaise, les côtes offrent un spectacle de désolation. Près de 800 embarcations de tous types gisent sur les plages, enchevêtrées avec les débris des jetées flottantes et autres épaves.

Devant l'ampleur du désastre, les Américains décident de ne pas réparer leur port artificiel. Les éléments récupérables serviront à remettre en état celui des Britanniques. Ils ne conserveront que le brise-lames et auront désormais recours au débarquement sur les plages mêmes, grâce à leurs navires LCI à fond plat. Méthode moins sophistiquée certes, mais non moins efficace puisque le tonnage déchargé chaque jour directement sur Omaha Beach sera nettement supérieur à celui du Mulberry-B anglais.

Affirmer donc, comme on le fait parfois, que seul le port artificiel d'Arromanches a été la clé de la réussite du débarquement est probablement exagéré. Mais ils n'en demeurera pas moins, aux yeux de la technologie humaine, une brillante réussite.


Désastre de l'opération Tiger.

Dans la nuit du 27 au 28 avril 1944, dans la baie de Lyme, les vedettes lance-torpilles allemandes S-100, S-130, S-136, S-138, S-140, S-142, S-143, S-145 et S-150 interceptent au large de Brixham et des plages de Slapton Sands, le convoi T-4, composé de huit navires de débarquement américains bourrés de sapeurs du génie, et d'unités QM et EM de la 4ème Division d'infanterie et du VII Corps, participant à l'opération Tiger, un exercice de débarquement, un des derniers préparatifs d'Overlord. Entre 1h20 et 2h08 du matin, les vedettes allemandes coulent les LST-507 et LST-531, et incendient le LST-289 (1).

Du fait d'erreurs humaines et techniques, notamment au sujet des fréquences radios entre les navires américains et des services de secours de la Royal Navy, 551 soldats et 198 marins américains, soit un total de 749 personnes, périssent noyés. La tragédie, survenue lors d'un exercice loin des champs de bataille, est la plus grave dans l'histoire des forces armées américaines. Ce drame est d'une telle ampleur que, pendant un demi-siècle, il sera tenu secret par le Pentagone et ignoré de l'opinion publique.

Photos ci-dessous: 1° Char Sherman retrouvé immergé au large des côtes de Slapton Sands, et servant au mémorial des victimes de l'Exercice Tiger. 11 août 2005. 2° Exercice de débarquement sur les plages de Slapton Sands, le 25 avril 1944.




(1) Landing Ship Tank: navire de transport à fond plat, pouvant débarquer des véhicules blindés et des troupes "à sec" directement sur les plages.


4 juin 1944 - "Let's Go!": Déclenchement de Neptune!

Le 1er juin 1944, à 21h, un message personnel lancé sur les ondes après les informations de la BBC est intercepté par le service d'écoutes de la 15ème Armée allemande. Ce message, c'est les trois premiers vers de "la chanson d'automne" du poète Paul Verlaine: Les sanglots longs / Des violons / De l'automne...

L'amiral Wilhelm Canaris, chef de l'Abwehr, les services secrets militaires allemands, a informé les forces armées que ces trois vers constituent la première partie d'un message qui, lancé le 1er et le 15 d'un mois quelconque à l'adresse de la Résistance française, doit annoncer l'imminence du débarquement. Les trois vers suivants, Blessent mon coeur / D'une langueur / Monotone, devant être retransmis vingt-quatre à quarante-huit heures avant le début de l'invasion.

Après l'interception des trois premiers vers, dans la nuit du 1er au 2 juin 1944, la 15ème Armée allemande, stationnée dans le Pas-de-Calais, est placée en état d'alerte. Mais, par suite d'une mésentente entre les services de renseignements de l'OKW du général Alfred Jodl, le commandant en chef des forces allemandes à l'Ouest, le maréchal Gerd von Rundstedt, et Rommel, on "oublie tout simplement" d'en aviser la 7ème Armée allemande, dans le Calvados en Basse-Normandie.

Dans la nuit du 2 au 3 juin 1944, après le journal de la BBC, la première partie du poème de Verlaine est répétée une seconde fois, ce qui n'est pas sans déconcerter les services de renseignements allemands, qui ne s'expliquent pas cette seconde retransmission. Entretemps, le maréchal Erwin Rommel, commandant du Heeresgruppe B, s'apprête à partir pour l'Allemagne.

En Angleterre, d'une roulotte de forain placée dans un bois près de Portsmouth, au sud de l'île, le général Dwight Eisenhower va donner l'ordre d'invasion. Trois millions de soldats, aviateurs et marins dépendent de lui. Le déclenchement de l'opération Overlord a été décidé le 8 mai, confirmée le 17 mai. Le "Jour J" est d'abord fixé le 5 ou le 6 juin, au plus tard le 7 juin, lorsque deux conditions météos indispensables à la réussite de l'opération seront réunies.

La première condition, une nuit de pleine lune, pour favoriser les parachutages et atterrissages des planeurs des 101ème et 82ème Divisions aéroportées américaines et la 6ème Division aéroportée britannique. La seconde, une marée basse à l'aube, mettant à découvert les obstacles et les mines de Rommel sur les plages, de façons à permettre aux commandos plongeurs de la marine américaine, les Navy Seals, qui précéderont la première vague d'assaut, de les neutraliser aisement, en faisant sauter les mines et en détruisant les obstacles.

Seuls les 5,6 et 7 juin réunissent toutes ces conditions. Le 19 juin, il est vrai, les marées seraient à nouveau favorables, mais il n'y aura plus de pleine lune et les forces aéroportées seraient obligées d'attaquer dans l'obscurité la plus totale. Il faudrait alors attendre le mi-juillet, mais un report aussi reculé, comme le dira par la suite Eisenhower, est "trop compliquer à envisager".

Mais le 4 juin 1944, jour prévu de Rommel pour son départ en Allemagne, Eisenhower repousse le Jour-J, initialement prévue pour le lendemain, de vingt-quatre heures, en raison de la mer démontée et des mauvaises conditions météorologiques dans la Manche. Du fait de ce report, les convois qui ont déjà appareillé en partie des ports et ancrages du sud de l'Angleterre doivent faire demi-tour sur une mer plus agitée d'heure en heure. Les fantassins à bord des navires de transport souffrent d'un terrible mal de mer.

Vers 22h, après avoir entendu les avis de ses chefs alliés et pris connaissance du communiqué météorologique de la Royal Air Force du Group Captain James M. Stagg, Eisenhower annonce l'irrévocable décision: "Je n'aime pas ça, déclare-t-il, mais il me semble que nous n'avons pas le choix... Je suis absolument persuadé que nous devons donner l'ordre..."

Le débarquement aura donc lieu à l'aube du 6 juin. A minuit, les convois bourrés d'hommes déjà en proie au mal de mer se reforment et reprennent la direction des côtes normandes. Le mauvais état de la mer, par contre, rassure les Allemands: au sein de leur 7ème Armée, qui, comme nous l'avons vu, n'a pas été placée en état d'alerte, règne le calme absolu.

Ironie de l'histoire: quelques officiers supérieurs de la Wehrmacht, dont le commandant du LXXXIV Korps, à Saint-Lo, qui garde précisément le secteur désigné pour le débarquement allié, le général Erich Marcks, sont attendus le 6 juin à Rennes pour participer à un Kriegspiel, un exercice théorique et topographique, destiné à préparer un plan contre un débarquement allié imaginaire... en Normandie!

Le rapport des forces au moment du débarquement est le suivant: les Allemands disposent en France de 28 divisions, dont 8 panzers, avec les fameux chars lourds Tiger et Panther. La Luftwaffe alligne 165 bombardiers et 183 chasseurs. Mais quelques jours plus tôt, des dizaines d'entre-eux ont été retirés du nord de la France, alors que Hitler avait promis à ses généraux 1,000 avions supplémentaires pour appuyer, le jour de l'invasion alliée, la Wehrmacht.

L'organigramme allemand se présente ainsi: le maréchal Gerd von Rundstedt, commandant suprême des forces allemandes sur le front occidental, QG à Saint-Germain-en-Laye, près de Paris. Dépend de lui le maréchal Erwin Rommel, Heeresgruppe B, sur les côtes de la Manche, QG à La Roche-Guyon.

Le Heeresgruppe B comprend la 7ème Armée allemande du général Friedrich Dollmann, QG Le Mans, qui défend la Bretagne et la région du Calvados, de l'Orne à la péninsule du Cotentin, jusqu'à Cherbourg. Et la 15ème Armée allemande du général Hans von Salmuth, QG Tourcoing, qui garde les côtes de la Manche entre la Hollande et l'Orne.

Positions des divisions allemandes en Normandie, le 6 juin 1944.

De leur côté, les Alliés disposent en Angleterre de 86 divisions, dont 25 blindées, dotées de tanks lourds Churchill, de chars moyens Sherman, de chars légers Chaffee, et 55 divisions d'infanterie totalement motorisées.

Les forces aériennes ne sont pas en reste. Plus de 11,000 avions au total: 3,100 bombardiers lourds et moyens, 5,000 chasseurs et chasseurs-bomdardiers, 2,000 avions de transport et planeurs, dont 980 Douglas C-47 Skytrain, les fameux DC-3 Dakota civils des années trentes, l'âge d'or de l'aviation commerciale aux Etats-Unis.

Le commandant suprême des forces expéditionnaires alliées, Dwight D. Eisenhower, est assisté par le maréchal de l'air anglais Arthur W. Tedder. Les forces aériennes alliées sont placées sous l'autorité du maréchal de l'Air Trafford Leigh-Malory. Les forces terrestres alliées sont commandées par le maréchal Bernard L. Montgomery, surnommé "Monty" par les Américains, et les forces navales par l'amiral Bertram H. Ramsey. Tous trois sont britanniques. Les forces aériennes stratégiques américaines, la VIII Air Force en Angleterre et la XV Air Force en Méditerrannée, sont confiées au général d'aviation Carl Spaatz. L'aviation de bombardement alliée en Angleterre, qui regroupe le RAF Bomber Command anglais et la VIII Bomber Command américain, est placée sous le commandement unique du maréchal de l'air britannique Arthur "Bomber" Harris.

Le 5 juin 1944, à 22h15, le centre d'écoute radio de la 15ème Armée allemande intercepte la seconde partie du poème de Verlaine à l'adresse de la Résistance française, celle qui, selon l'amiral Canaris, commandant de l'Abwehr les services secrets militaires allemands, précédera l'invasion de quarante-huit heures au maximum: Bercent mon coeur / D'une langueur / Monotone... Encore une fois, seule la 15ème Armée allemande est placée en état d'alerte. Et pour la seconde fois, la 7ème Armée allemande est oubliée.

Au crépuscule, les 2,000 avions de transport et planeurs alliés commencent à quitter les terrains d'aviation en Angleterre. Juste après minuit, le ciel de Normandie s'embrase de fusées éclairantes et de tirs traçants, et s'emplit du vrombissement des avions alliés et des tirs de DCA.

"Grand Quartier Général des Forces Expéditionnaires Alliées,

"Soldats, Marins et Aviateurs des Forces Expéditionnaires Alliées! Vous êtes sur le point de vous embarquer pour la grande croisade vers laquelle ont tendu tous nos efforts pendant de longs mois. Les yeux du monde entier sont fixés sur vous. Les espoirs, les prières de tous les peuples épris de liberté vous accompagnent. Avec nos valeureux alliés et nos frères d'armes des autres fronts, vous détruirez la machine de guerre allemande, vous anéantirez le joug de la tyrannie que les Nazis exercent sur les peuples d'Europe et vous apporterez la sécurité dans un monde libre.

"Votre tâche ne sera pas facile. Votre ennemi est bien entraîné, bien équipé et dur au combat. Il luttera sauvagement.

"Mais nous sommes en 1944! Beaucoup de choses ont changé depuis le triomphe nazi des années 1940-41. Les Nations-Unies ont infligé de grandes défaites aux Allemands, dans des combats d'homme à homme. Notre offensive aérienne a sérieusement diminué leur capacité à faire la guerre sur terre et dans les airs. Notre effort de guerre nous a donné une supériorité écrasante en armes et munitions, et a mis à notre disposition d'importantes réserves d'hommes bien entraînés. La fortune de la bataille a tourné! Les hommes libres du monde marchent ensemble vers la Victoire!

"J'ai totalement confiance en votre courage, votre dévouement et votre compétence dans la bataille. Nous n'accepterons que la victoire totale!

"Bonne chance! Implorons la bénédiction du Tout-Puissant sur cette grande et noble entreprise."

[Dwight D. Eisenhower]


"Prochain arrêt: la Normandie!".

Neptune désigne la traversée de la Manche par la flotte d'invasion alliée et la phase d'assaut initial du Jour-J sur les plages de Normandie. Les cinq gigantesques convois de transport, les Forces U, O, G, J et S, refont, neuf siècles plus tard et en sens inverse, pratiquement le même chemin que la flotte de Guillaume le Conquérant.

Les effectifs terrestres, aériens et navals, sont tous simplement incroyables: environ trois millions de soldats, aviateurs et marins se morfondent depuis plusieurs mois dans le sud de l'Angleterre! 1.6 million d'Américains, un million d'Anglo-Canadiens, ainsi que divers contingents d'autres nationalités: Français, Belges, Polonais, Tchèques, Brésiliens, Néerlandais, Danois et Norvégiens.

En deux ans les bases aériennes se sont multipliées. Au cours de l'année précédente, 163 aérodromes ont vu le jour, et s'ajoutent aux dizaines qui existaient déjà. 11,000 avions ont transformé la Grande-Bretagne en porte-avions géant et incoulable. Pour cette opération titanesque, la plus formidable armada navale de tous les temps, les Alliés ont rassemblé au total 6,939 navires, de huit nationalités différentes! De tout type et de toute taille. Soit 1,213 navires de guerre, 4,126 navires de transport et de débarquement (LCI, LCT, LCM), 736 navires de soutien et 864 navires de la marine marchande.

Au printemps 1944, deux millions de tonnes de matériels ont déjà été aménées des Etats-Unis et dissimulés un peu partout dans le paysage anglais. On ne sait plus où les mettre, on les parquent sur le bord des routes, dans les bois, dans les champs, dans les bruyères, sur les plages. Au total, un demi-million de véhicules! Des chars, automitrailleuses, camions, jeeps et half-track à perte de vue!


Plages de débarquement Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword.

Les plages de débarquement assignée à l'opération Neptune sont au nombre de cinq et s'étendent sur 80km de large, de Saint-Martin-de-Varreville, dans la péninsule du Cotentin, jusqu'à Ouistreham et l'embouchure de l'Orne. Deux plages américaines (Utah Beach et Omaha Beach), deux britanniques (Gold Beach et Sword Beach), et une canadienne (Juno Beach) entre Gold et Sword Beaches.

Le débarquement dans la Baie de Normandie sera précédé par le largage de trois divisions aéroportées alliées avec une effectif d'environ 20,000 parachutistes et troupes de planeurs, deux américaines, les 82ème et 101ème (13,500 hommes) et une britannique, la 6ème (6,500 hommes). L'assaut terrestre proprement dit sera effectué par 135,000 hommes provenant de six divisions d'infanterie: d'ouest en est la 4ème Division américaine sur Utah Beach, les 29ème et 1ère Divisions américaines sur Omaha Beach, la 50ème Division britannique sur Gold Beach, la 3ème Division canadienne sur Juno Beach et la 3ème Division britannique sur Sword Beach.

Nous arrivons ainsi à la journée fatidique du mardi 6 juin 1944...


Série documentaire "Grandes Batailles de la Seconde Guerre mondiale"
(Henri de Turenne et Daniel Costelle) - Vidéo Youtube.

"Les Grandes Batailles" est une série d'émissions télévisées historiques de Daniel Costelle, Jean-Louis Guillaud et Henri de Turenne diffusée à la télévision française dans les années 1960 et 1970, qui décrit les principales batailles de la Seconde Guerre mondiale ainsi que le procès de Nuremberg. Les émissions donnent la parole aux officiers ayant participé à ces batailles ainsi qu'à des historiens. Ces interventions alternent avec des extraits de reportages. Les commentaires sont d'Henri de Turenne.


La Bataille de Normandie.

La bataille de Normandie est l'une des grandes batailles de la Seconde Guerre mondiale sur le théâtre européen. Elle commence par l'Opération Overlord dont la première action est l'opération Neptune, c'est-à-dire le débarquement proprement dit des Alliés en Normandie le 6 juin 1944 (également appelé D-Day ou Jour J). Trois divisions aéroportées (deux américaines et une britannique) sont parachutées à chaque extrémité du secteur d'assaut, entre minuit et deux heures du matin. A l'aube, elles sont suivies par six autres divisions (trois américaines, deux anglaises et une canadienne) qui débarquent sur cinq plages désignées par les noms de code Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword, soutenues par une totale maîtrise de l'espace aérien et un puissant appui de l'artillerie navale, pour briser le "Mur de l'Atlantique". La bataille de Normandie se termine le 21 août par la fermeture de la poche de Falaise, ouvrant la voie à la Libération de Paris le 25 août.












(Article modifié le 4 juin 2019)


Sources principales:
Saviez-vous que... (Blog D'Iberville)
D-Day Normandie 1944 - Débarquement et bataille de Normandie
Operation Overlord (Wikipedia.org)