1er avril - 22 juin 1945 - Opération Iceberg: longue et sanglante bataille d'Okinawa

Le 1er avril 1945, à 8h30, les 190,000 fantassins et Marines de la 10ème Armée américaine, commandés par le général Simon Bolivar Buckner, Jr, et appuyés par l'artillerie navale et l'aviation de la 5ème Flotte du vice-amiral Raymond Spruance, entament leurs débarquement dans la baie d'Hagushi, sur l'île principale de l'archipel d'Okinawa.

La conquête d'Okinawa, qui a reçu le nom de code "Iceberg", sera avec Tarawa, les îles Mariannes et Iwo Jima, une des plus féroces et sanglantes batailles de la Guerre du Pacifique. L'Armée et la marine impériales japonaises perdent au cours de cette campagne de 82 jours 110,071 tués ou suicidés, et 10,755 prisonniers capturés. Le nombre de pertes civiles japonaises n'est pas connu avec précision, mais il est estimé en 2010 à 142,058 morts. Du côté américain, les forces armées américaines enregistrent la perte de plus de 82,000 hommes, dont 12,520 tués ou disparus au combat (4,907 marins, 2,938 Marines et 4,675 fantassins), 36 navires coulés et 368 autres endommagés, essentiellement du fait des actions kamikazes, ainsi que 763 avions embarqués détruits.




Objectif et préparatifs américains.

L'objectif principal des Américains et de s'emparer de l'archipel d'Okinawa, situé à 340km au sud de Kyu-Shu, dans l'intention de s'en servir ensuite comme tremplin pour la prochaine étape: l'invasion de la métropole japonaise, nom de code "Opération Downfall", programmé pour le 1er novembre 1945 (Kyu-Shu) et le 1er mars 1946 (Honshu).


Les bombardements préparatoires de l'aviation américaine, contre Okinawa ou les autres îles japonaises, ont commencé au début de l'année. Ils sont menés par les porte-avions de l'Aéronavale et les bombardiers lourds des 5th, 13th, 14th et 20th Air Forces, basées dans les Philippines, les îles Mariannes et en Chine.

Depuis le milieu de l'année 1943, les Chefs d'Etat-Major Interarmes (Joint Chiefs of Staff, JCS) ont pris l'habitude de pratiquer le "commandement alternatif" de la flotte de surface américaine du Pacifique. Celle-ci est commandée tour à tour par les amiraux William F. "Bull" (Taureau) Halsey et Raymond A. Spruance. Les navires et les effectifs restent identiques, seule change la numérologies de la flotte et des différentes escadres qui la compose. La 3ème Flotte sous le commandement d'Halsey, du 15 mars 1943 au 6 janvier 1945, du 26 août 1944 au 26 janvier 1945, puis finalement du 25 mai 1945 jusqu'à la fin des hostilités. La 5ème Flotte sous l'autorité de Spruance, du 7 janvier au 25 août 1944, et du 27 janvier au 24 mai 1945.

Carte ci-dessous: situation stratégique en mars 1945. En noir: territoires contrôlés par les Japonais.


La principale force de bataille aéronavale, la Task Force TF38/TF58 désignée "Main Battle Force", reste sous le commandement exclusif du vice-amiral Marc A. Mitscher, et dans les dernière semaines de la guerre, sous celui du vice-amiral John S. McCain. Elle regroupe la totalité des porte-avions d'escadre américains, au nombre de dix-huit, opérant dans le Pacifique. L'US Navy qui, au début, avait essuyé le désastre de Pearl Harbor, est maintenant devenue une "invicible armada" toute puissante, de plus de 1,400 navires de guerre, comptant au total plus de 80 porte-avions d'escadre ou d'escorte, avec un effectif de plus de trois millions de marins. Désormais, les Américains ont la maîtrise absolue sur mer et dans les airs. Ils peuvent tout se permettre.

En 1945, la formidable puissance industrielle américaine tourne au maximum et les navires sortent des chantiers navals aux Etats-Unis à une telle cadence, une moyenne mensuelle de quatre pour les porte-avions et soixante pour les Liberty Ship, que les Japonais ou les Européens ont du mal à l'imaginer.

Photo ci-dessous: porte-avions lourd Intrepid (CV-11), de Classe Essex, en 1944.


Pour les opérations amphibies l'amiral Chester Nimitz, le commandant des forces du Pacifique (CINCPAC), a affecté à l'opération Iceberg la plus formidable flotte jamais rassemblée depuis l'opération Overlord, un an plus tôt, au total 1,320 navires de guerre et 2,600 navires de transport ou de débarquement. La conquête terrestre d'Okinawa revient aux 190,000 fantassins et Marines de la 10ème Armée américaine, recemment constituée dans les îles Hawaii et placée sous le commandement du lieutenant-général Simon Bolivar Buckner, Jr.

Ci-dessous, de gauche à droite: Raymond A. Spruance, Chester W. Nimitz et Simon B. Buckner.



Défenses japonaises.

La défense d'Okinawa est confiée à la 32ème Armée japonaise du lieutenant-général Mitsuru Ushijima, qui la commande depuis août 1944. Celle-ci compte un effectif estimé de 67,000 à 77,000 soldats d'infanterie. Auxquels viennent s'ajouter 9,000 fusiliers et marins de la Marine Impériale (IJN), 39,000 miliciens territoriaux de la défense civile (de qualité médiocre), et 15,000 travailleurs ouvriers engagés de force (Coréens, Chinois ou Thai). Soit un effectif total d'environ 140,000 hommes. Elle comprend les vétérans de la 9ème Division d'infanterie, qui ont combattu en Chine et sont stationnés sur Okinawa depuis décembre 1944, les 24ème, 62ème et 64ème Divisions d'infanterie, formées récemment et peu aguerries, la 44ème Brigade mixte autonome, décimée par les sous-marins du Silent Service américain lors de son transbordement depuis le Japon, en juin 1944, et le 15ème Régiment blindé, avec ses chars enterrés pour en faire autant de fortins. Le nord de l'île et la péninsule de Motobu sont défendus par la 2ème Unité d'infanterie indépendante, ou "Force Udo", commandée par le colonel Takehiko Udo.


Dans les péninsules de Motobu et d'Oroku et sur l'île d'Ie Shima, sont également répartis 13,500 fusiliers marins et 7,000 civils enrôlés sous les ordres de l'amiral Minoru Ota.

Ushijima concentre la majorité de ses défenses dans le sud de l'île, et y délègue son chef d'Etat-Major, le lieutenant-général Isamu Cho, et son chef des Opérations, le colonel Hiromichi Yahara, dans leur QG installé dans le Chateau de Churi. Les Japonais comptent beaucoup sur leurs barques explosives et leurs kamikazes stationnés sur Okinawa et en métropole. Mais le vice-amiral Takijiro Onishi doit se contenter d'élèves pilotes peu expérimentés ou d'étudiants, agés de 17 à 19 ans, ne comptant que quelques heures de vol à leur actif. Au cours de cette bataille de 11 semaines, environ 1,500 avions kamikazes seront employés contre la flotte d'invasion américaine, employés en sept vagues d'assaut principales. Cependant, en février 1945, la 9ème Division japonaise, qui compte 18,000 hommes parmi les plus expérimentés de la 32ème Armée, quitte Okinawa et est transférée sur Formose (Taiwan).

Photo ci-dessous: porte-avions Bunker Hill atteint par deux kamikazes le 11 mai 1945.



Ordre de bataille naval et terrestre américain.

La 5ème Flotte américaine, désignée Central Pacific Task Forces, est articulée en plusieurs escadres, ou "Task Forces", lesquelles sont divisées à leur tour en "Task Groups".

Task Force TF50 Covering Force et Special Group.

Commandée par Raymond A. Spruance en personne.


Task Force TF51 Joint Expeditionary Force.

Chargée des opérations de débarquement de la 10ème Armée américaine.


Task Force TF57 British Pacific Fleet.

Amiral Bruce Fraser [RN].

  • 10 porte-avions d'escadre et 450 avions embarqués: Colossus, Formidable, Glory, Illustrious, Implacable, Indefatigable, Indomitable, Venerable, Vengeance et Victorious.
  • 3 cuirassés: Howe, King George V, Duke of York.
  • 7 croiseurs: Swiftsure, Newfoundland, Black Prince, Uganda, Gambia, Achilles et Euryalus.

Task Force TF58 Fast Carrier Force ou Main Battle Force.

Vice-amiral Marc A. Mitscher.

  • 12 porte-avions d'escadre lourds (CV) et 980 avions embarqués: Essex, Yorktown II, Entreprid, Hornet II, Franklin, Ticonderoga (1), Randolph (2), Lexington II, Bunker Hill, Wasp II, Bennington, Enterprise.
  • 6 porte-avions d'escadre légers (CVL): Belleau Wood, San Jacinto, Bataan, Cabot, Langley et Independence.
  • 8 cuirassés (BB): Massachusetts, Indiana, Wisconsin, South Dakota, Washington, North Carolina, Missouri et New Jersey.
  • 2 croiseurs de bataille (CB): Guam et Alaska.
  • 3 croiseurs lourds (CA): Indianapolis, Baltimore, Pittsburg.
  • 10 croiseurs légers (CL): San Juan, Vincennes II, Vicksburg, Miami, Santa Fe, Astoria II, San Diego, Oakland, St-Louis et Atlanta II.

Les opérations de débarquement sont confiées à la Task Force TF51 Joint Expeditionary Force du contre-amiral Richmond K. "Terrible" Turner. Elle est elle-même répartie entre plusieurs sous-ensembles, désignés TF52 à TF56:

Task Force TF52 Amphibious Support Force.

Contre-amiral William H. Blandy.


Task Force TF53 Northern Attack Force.

Contre-amiral Lawrence E. Reifsnyder.
[Landing Force III Amphibious Corps]


Task Force TF54 Gunfire and Covering Force.

Contre-amiral Morton L. Deyo.


Task Force TF55 Southern Attack Force.

Contre-amiral John L. Hall.
[Landing Force XXIV Army Corps]


Task Force TF56 Landing Army Forces [10ème Armée].

Général Simon B. Buckner, Jr.


Tableau ci-dessous: organisation générale des forces américaines affectées à l'opération Iceberg.


La 10ème Armée américaine, commandée par le lieutenant-général Simon Bolivar Buckner, Jr, compte un effectif de 102,000 fantassins et 88,000 Marines. Elle est articulée ainsi:
  • XXIV Corps de l'US Army (major-général John R. Hodge), comprenant les 7ème, 27ème, 77ème et 96ème Divisions d'infanterie.
  • III Corps amphibie de l'USMC (major-général Roy S. Geiger), avec les 1ère, 2ème, 5ème et 6ème Divisions de Marines.

Cette première phase du débarquement concerne les 7ème et 96ème Divisions d'infanterie et les 1ère et 6ème Divisions de Marines. Les 27ème Division d'infanterie et 2ème Division de Marines sont gardées en réserve. La 2ème Division de Marines doit d'ailleurs faire diversion en simulant le 31 mars 1945 un débarquement sur la côte sud-est d'Okinawa, devant le village de Manitoga. Et la 77ème Division d'infanterie est affectée à la conquête de l'île de Ie Shima.

(1) USS Ticonderoga. Gravement endommagé par un kamikaze le 21 janvier 1945, il regagne Ulithi puis Pearl Harbor pour y être réparé. Il ne rejoindra la TF58 que le 22 mai 1945.

(2) USS Randolph. Atteint par un kamikaze P1Y1 Frances le 11 mars 1945, il est réparé à Ulithi (îles Carolines), puis regagne Okinawa le 7 avril 1945.



Actions préliminaires: Kerema Retto et Keise Shima (26-31 mars 1945).

Les 26 et 27 mars 1945, plusieurs bataillons des 305ème et 306ème Régiments de la 77ème Division d'infanterie débarquent dans le groupe d'îles de Kerama Retto, à 25km à l'ouest d'Okinawa. Ce groupe d'îles sera sécurisé en cinq jours, au prix de 27 tués et 81 blessés du côté américain, et 650 tués et prisonniers japonais. Les GIs y découvrent et détruisent des barques suicides que les Japonais, surpris, n'ont pas eu le temps d'utiliser contre la flotte américaine.


Le 31 mars 1945, 31 Marines du Bataillon amphibie de Reconnaissance de la Flotte du Pacifique (FMF-PAC) débarquent sans opposition sur Keise Shima, un petit groupe de quatre ilots situé à 13km à l'ouest de la capitale d'Okinawa, Naha. Des obusiers automoteurs Long Tom de 155mm y sont déployés pour servir de batterie d'appui feu aux opérations terrestres américaines.




Jour-J: dimanche 1er avril 1945, "Love Day" ou "April Fools Day".

Le 1er avril 1945, à 5h30 du matin, une demi-heure avant l'aube, 10 cuirassés, 9 croiseurs, 23 destroyers, ainsi que 177 navires de moindre importance et l'artillerie de campagne terrestre, entament l'ultime préparation d'artillerie pré-ops, et déversent 44,825 obus de 155mm ou plus, 33,000 fusées et 22,500 obus de mortiers sur les positions japonais dans la zone désignée pour le débarquement, dans la Baie d'Hagushi.

Photo ci-dessous: le 1er avril 1945, le cuirassé Idaho pilonne les défenses japonaises avec son artillerie secondaire de 130mm.


A l'heure-H prévue (8h30), les 7ème et 96ème Divisions d'infanterie du XXIV Corps de l'US Army débarquent au sud de la ville d'Hagushi. Le III Corps amphibie, avec les 5ème et 6ème Divisions de Marines, se déploie au nord de la localité. Mais contrairement à leurs habitudes, les Japonais n'opposent pas beaucoup de résistance, et ne lanceront d'ailleurs pas des attaques suicides attendues la nuit suivante.

Photo ci-dessous: les Marines américains de la 6ème Division débarquent, pratiquement sans opposition, le Jour-J à 8h30. Beaucoup sont surpris et se posent la même question: "Mais où sont donc passés ces foutus Japs?"


Les combattants américains, agréablement surpris par cette passivité japonaise, baptiseront cette journée Love Day ("Journée Enchantée") ou April Fools Day ("Poisson d'Avril"). Le III Corps amphibie capture avec une facilité déconcertante l'aérodrome de Yontan et avance vers le nord et le nord-est. Le XXIV Corps, de son côté, s'empare de celui de Kadena et infléchit son axe d'attaque vers le sud, progressant lui-aussi très facilement.

Dans la soirée, près de 50,000 combattants américains ont débarqué. Leur tête de pont mesure déjà environ 14.5km de large et de 3.5 à 4.5km de profondeur. Okinawa mesurant 107km de long et de 5km à 16km de large, cette pénétration est donc notable. Ce premier jour, les contacts avec les Japonais sont rares. Les pertes américaines, dérisoires comparées aux bilans des débarquements précédents, s'établissent à 28 tués et 104 blessés.

En fait, la plupart des troupes japonaises se sont retirées soit dans la partie sud d'Okinawa pour s'opposer au (faux) débarquement et à la diversion de la 2ème Division de Marines, sur les plages de Manitoga. Soit au nord-est au relief plus montagneux et accidenté, pour se concentrer dans la péninsule de Motobu, autour de et sur deux collines.

Carte ci-dessous: progression américaine, 1er-3 avril 1945.



Attaques massive des Kamikazes.

"Où sont ces diables de Japonais?", se demandent les Américains en ce 1er avril 1945, "Poisson d'Avril?". Contre toute attente, la réaction japonaise se fait bien, non sur terre comme prévu, mais dans les airs. Le "Corps aérien d'attaque spéciale", c'est-à-dire les kamikazes ("Vent Divin"), qui ont effectué de petites sorties depuis une semaine, interviennent massivement contre les navires américains au large, dès les premières heures du débarquement.

Photo ci-dessous: 1° A6M Zeke s'écrasant sur l'USS Missouri, 11 avril 1945. 2° Porte-avions britannique Formidable séveremment endommagé par un kamikaze le 4 mai 1945.



Les bombardiers conventionnels japonais ne restent pas inactifs, eux non plus. La veille du débarquement, 31 mars, les bombes de l'un d'entre-eux ont d'ailleurs atteint et endommagé le croiseur lourd Indianapolis, le navire amiral de Raymond Spruance. Le navire doit quitter la zone de combat et regagner Alameda, dans la Baie de San Francisco, sur la côte Ouest, pour y subir de sérieuses réparations. Une fois celles-ci achevées, il embarquera le 16 juillet 1945 les deux bombes atomiques disponibles pour les livrer sur Tinian, dans les îles Mariannes. Mais ceci est une autre histoire (1).


(1) [Blogosphère Mara] 6-9 août 1945 - Japon: bombardement atomique d'Hiroshima et de Nagazaki


Progression des Marines vers le nord-est (1er-8 avril 1945).

Le lieutenant-général Simon B. Buckner, devant le peu de résistance des Japonais, décide de passer immédiatement à la phase II de son plan, et ordonne à la 6ème Division de Marines d'avance au nord-est vers l'Isthme d'Ichikawa et la péninsule de Motobu.


C'est là que finalement, le 8 avril 1945, les Marines buttent contre les solides défenses que les Japonais ont installé sur deux collines, et particulièrement sur celle de Yae-Take. Il faudra dix jours sanglants de combats au corps-à-corps, à l'arme blanche, aux explosifs et aux lance-flammes pour que finalement, le 18 avril, la 6ème Division nettoie et sécurise la péninsule de Motobu.


Photo ci-dessous: des Marines passent à côté d'un village détruit et de cadavres japonais, en avril 1945.


Entremps, le 16 avril 1945, la 77ème Division d'infanterie, jusqu'ici tenue en réserve, débarque sur l'île voisine de Ie Shima. Les fantassins américains y affronte là une résistance tenace, face aux attaques suicides banzai et aux milices populaires équipés de tiges de bambous. Ie Shima est nettoyée le 21 avril, et le génie américain commence aussitôt à y construire des bases aériennes pour les bombardiers lourds.

Photo ci-dessous: Marines nettoyant la colline Yae-Take, le 14 avril 1945.



Progression du XXIV Corps vers le sud.

Pendant que le III Corps amphibie progresse vers le nord-est, le XXIV Corps de l'US Army avance au sud-est. Les 7ème et 96ème Divisions d'infanterie, après avoir avancé sans difficultés les trois premiers jours, finissent par rencontrer une féroce résistance et de solide positions défensives japonaises établies dans la partie centre-ouest de l'île, autour de la Colline Cactus (Cactus Ridge), à environ 8km au nord-ouest du village de Shuri. Les GIs doivent livrer de sanglants combats au corps-à-corps pour finalement s'en emparer et la nettoyer, dans la nuit du 7 au 8 avril 1945, au prix de lourdes pertes: 1,500 tués et blessés. Au cours de cet engagement nocturnes, 4,500 soldats japonais sont tués ou capturés. Mair sur toute la largeur de l'île, les Japonais ont maintenant installé de solides positions de défenses, baptisées Ligne Shuri.

Vidéo ci-dessous: scène tiré du film "Hacksaw Ridge" (2016), illustrant la férocité des combats sur la Colline Dents de Scie (Hacksaw Ridge) et l'Escarpement de Maida, fin avril 1945.


Après la Colline Cactus, le prochain objectif du XXIV Corps est la Colline Kakazu, en fait deux hauteurs en forme de selle de cheval, constituant la défense extérieure de la Ligne Shuri. Les Japonais ont préparé et fortifié minutieusement cette position, en creusant ou fortifiant de nombreuses entrées de grottes dans la roche, reliés entre-elles par un réseau complexe de galleries. Les Américains doivent s'en emparer et les détruire à l'explosif un par un, pour avancer mètre par mètre. A cette occasion, les soldats japonais se servent de la population locale comme pourvoyeurs ou boucliers humains, ce qui occasionne de lourdes pertes civiles. Les Américains progressent péniblement, au prix de lourdes pertes.

Les assauts américains contre la Colline Kakazu étant bloqués, le général Mitsuru Ushijima décide de passer à la contre-offensive générale. Dans la soirée du 12 avril 1945, la 32ème Armée japonaise lance son attaque sur toute la largeur du front américain, mais les GIs ne cèdent pas, et après de furieux combats, elle est repoussée. La nuit suivante, les Japonais rééditent leur attaque, sans plus de succès. Le 14 avril, un troisième et dernier assaut est également repoussé. L'état-major japonais tire les enseignements de ces attaques en concluant que les Américains sont vulnérables aux infiltrations de nuit, mais qu'ensuite l'appui de leur aviation et de leur artillerie rend toute attaque japonaise hasardeuse et extrêmement coûteuse. Ushijima ordonne à ses troupes de rester sur la défensive.

La 27ème Division d'infanterie, qui a débarqué le 9 avril, prend position à droite du front américain, sur la côte ouest de l'île. Le major-général John R. Hodges dispose maintenant de trois divisions d'infanterie en ligne, avec la 96ème au centre et la 7ème sur la gauche. Chacune d'elle occupe une largeur de front d'environ 2.4km.

Ci-dessous: front du XXIV Corps le 19 avril 1945.


A l'aube du 19 avril 1945, après une longue préparation d'artillerie navale, aérienne et terrestre, le XXIV Corps reprend son offensive contre la Ligne Shuri. La 27ème Division sur sa droite, la 96ème au centre, et la 7ème à gauche. Le but de l'attaque est de percer sur les flancs pour déborder et encercler le centre du dispositif japonais. Un assaut de blindés contre la Colline Kakazu, lancé sans appui suffisant d'infanterie, se solde par la destruction de 22 chars Sherman. Le XXIV Corps perd 720 tués, blessés et disparus en quarante-huit heures, et doit interrompre ses assauts, mais la 2ème Division de Marines ayant effectué une autre feinte au large de Manitoga, le commandement japonais envoit toutes ses réserves d'infanterie au sud de l'île.

Photo ci-dessous: Marines américains détruisant à l'explosif une entrée de grotte fortifiée.



Percée décisive des Américains.

A la fin du mois d'avril 1945, les divisions du XXIV Corps sont à bout de force. La 1ère Division de Marines, fraîchement débarquée, relève la 27ème Division d'infanterie sur ses positions. Et la 77ème Division la 7ème.

Le 2 mai 1945, Ushijima prépare une autre contre-offensive. Elle est lancée le 4 mai. Pour l'appuyer et pilonner plus efficacement les positions américaines, l'artillerie japonaise sort à découvert, devenant vulnérable aux tirs de contre-batterie des obusiers américains, qui détruisent ce premier jour 19 pièces japonaises, et plus de 40 au cours des deux jours suivants. Finalement, l'offensive d'Ushijima se solde par un échec coûteux.

Photo ci-dessous: fantassins de la 77ème Division écoutant l'annonce de la victoire alliée (VE-Day) en Europe, le 8 mai 1945.


Buckner lance une autre attaque générale américaine le 11 mai 1945. Dix jours de violants combats suivent. Le 13 mai 1945, des hommes de la 96ème Division d'infanterie et le 763ème Bataillon de chars capturent La Colline Cônique (Conical Hill), qui du haut de ses 145m domine toute la plaine côtière de Yonabaru. Sur la côte opposé, la 6ème Division de Marines se bat pour la prise de la "Colline du Pain de Sucre" (Sugar Loaf Hill). La prise de ses deux positions stratégiques menace désormais le centre du dispositif japonais (village de Shuri) de débordement des deux côtés. Buckner espère encercler le village de Shuri et prendre au piège la principale force de défense d'Ushijima.

A la fin du mois de mai 1945, les pluies de moussons transforment le terrain en véritable bourbier, ralentissant fortement les opérations. Dans un décors qui rappelle les tranchées de la Grande Guerre, où se mêlent les cadavres en décomposition, les risques d'épidémie refont leur apparition.

Le 29 mai 1945, le major-général Pedro del Valle, commandant la 1ère Division de Marines, ordonne à la Compagnie A, 1er Bataillon du 5ème Régiment, de prendre le Chateau de Shuri, position centrale stratégique de première importance, dont la perte aura certainement un fort impact psychologique sur les Japonais. Pendant trois jours, le Chateau est pilonné par l'artillerie navale des cuirassés, en particulier celle du Mississippi.

Ushijima, menacé d'être encerclé, ordonne au reste de ses forces de se retirer sur la péninsule d'Oroku, juste au sud de Naha, ainsi que sur les reliefs de Yaeju, Yuza et Mezado, à l'extrêmité sud de l'île.


Fait inouï et sans précédant dans les annales de l'Armée impériale japonaise, un certain mécontentement règne parmi les troupes. On y note même quelques cas de désobéissance ou de mutinerie!

Des éléments de la 1ère Division de Marines traversent la Koruba au sud de Naha. Le XXIV Corps, à gauche du dispositif américain, poursuit et talonne les Japonais, et nettoient la région de Shuri. Après deux mois de sacrifices inouïs, les Américains enregistrent enfin les premiers signes significatifs d'un écroulement du front japonais. Leur moral remonte en flèche.

Photo ci-dessous: deux Marines et un orphelin japonais s'abritent dans un trou de fusilier.


Le 4 juin 1945, 30,000 soldats japonais faiblement armés -ils ont perdu la majorité de leurs équipements lourds pendant la retraite de Shuri, avec 9,000 hommes de la Marine impériale et 1,100 membres de la Milice populaire, se retranchent dans la Zone fortifié de l'Arsenal d'Okinawa, dans la péninsule d'Oroku.

Le 18 juin 1945, le lieutenant-général Simon Bolivar Buckner, Jr, qui observe les mouvements de ses troupes, est tué par un tir d'artillerie japonaise. Il est remplacé au commandement de la 10ème Armée par Roy S. Geiger, puis cinq jours plus tard, par le général Joseph Stilwell.

Le 22 juin 1945, bien que des soldats japonais résistent encore ici et là, l'île d'Okinawa est déclarée officiellement conquise par le commandement américain. Ushijima et ses officiers généraux se suicident.

Photos ci-dessous: prisonniers de guerre japonais dans les derniers jours de la bataille.





Bilan de la bataille d'Okinawa.

Les forces armées américaines enregistrent pendant la Bataille d'Okinawa (1er avril - 22 juin 1945) environ 82,000 hommes hors de combat dont 12,520 tués ou disparus (4,907 marins, 4,675 fantassins et 2,938 Marines), 225 chars détruits. Les pertes matérielles de l'US Navy s'élèvent à 36 navires coulés, 368 autres endommagés, et 763 avions embarqués détruits.

Du côté japonais, de source américaine, les pertes de l'Armée de terre impériale s'établissent à 110,071 soldats japonais tués et 10,755 prisonniers de guerre capturés. L'aviation terrestre et navale japonaise enregistre plus de 7,300 avions détruits, dont 1,900 Kamikazes. Les pertes civiles japonaises sont difficiles à établir avec exactitude, mais les chiffres officiels américains s'élèvent à 142,058 civils tués. En 2010, le Mémorial Cornestone of Peace totalise 240,931 noms inscrits sur des plaques de marbre, dont ceux de 14,009 militaires américains, 77,166 soldats et 149,193 civils japonais.

Photos ci-dessous: 1° Mémorial Cornerstone of Peace d'Okinawa, où sont inscrit les noms des tous les militaires et civils, des deux camps, tués au cours la bataille. Octobre 2006. 2° "Chateau de Shuri" (restauré), qui fut le théâtre d'un des plus féroce combat de la bataille d'Okinawa, le 31 mai 2011. 3° Colline du Pain de Sucre (Sugar Loaf Hill) en 2011.






Okinawa redevient japonaise en 1962. Aujourd'hui, l'île fait partie de la préfecture d'Okinawa, dans les îles Ryu-Kyu. Elle couvre une superficie de 1,200 km² et compte une population d'environ 1.38 million d'habitants. Elle abrite également de nombreuses bases américaines de l'US Army, de l'US Navy, de l'US Air Force et de l'US Marine Corps. Les soldats américains et japonais s'y entraînent ensemble régulièrement.

Ci-dessous: des soldats japonais de la Force Terrestre d'autodéfense (JGSDF) s'entraînent et coopèrent régulièrement avec des soldats ou des Marines américains à Camp Kinser (US Marine Corps), photo prise le 19 octobre 2016.



Bataille d'Okinawa au cinéma.

The Pacific est une mini-série américaine réalisée par Steven Spielberg et Tom Hanks, en 2010, et diffusée par la chaine publique HBO. Dans la droite ligne de la précédente série, Band of Brothers, relatant l'histoire d'une compagnie de la 101ème Division aéroportée en Europe.

Cette fois, les deux réalisateurs se sont intéressés à la Guerre du Pacifique, et plus généralement à l'histoire personnelle de trois jeunes Marines tout le long du conflit, de Guadalcanal jusqu'à la capitulation japonaise de 1945.

L'épisode 9, en particulier, traite de la bataille d'Okinawa.





Le film "Hacksaw Ridge", sorti en 2016, illustre pour sa part la férocité des combats de la 77ème Division d'infanterie de l'US Army (XXIV Corps) sur Hacksaw Ridge et l'Escarpement de Maida, à la fin du mois d'avril 1945.







Série documentaire "Grandes Batailles de la Seconde Guerre mondiale"
(Henri de Turenne et Daniel Costelle) - Vidéo Youtube.


"Les Grandes Batailles" est une série d'émissions télévisées historiques de Daniel Costelle, Jean-Louis Guillaud et Henri de Turenne diffusée à la télévision française dans les années 1960 et 1970, qui décrit les principales batailles de la Seconde Guerre mondiale ainsi que le procès de Nuremberg. Les émissions donnent la parole aux officiers ayant participé à ces batailles ainsi qu'à des historiens. Ces interventions alternent avec des extraits de reportages. Les commentaires sont d'Henri de Turenne.


"Bataille du Pacifique - 2ème Partie: la reconquête" (1943-1945).

7 décembre 1941. L'agression japonaise contre la base aéronavale américaine de Pearl Harbor entraîne les Etats-Unis dans une bataille à mort sur le plus vaste théâtre d’opérations de l'histoire. Avide de conquêtes et de matières premières, le Japon instaure sa domination sur l'Asie, jusqu'à la victoire américaine de Midway du printemps 1942, qui sonne l'heure du reflux. Les archives des forces alliées et japonaises restituent l'irrésistible ascension japonaise et cet affrontement aéronaval spectaculaire. Ce documentaire montre chaque étape de la bataille du Pacifique: de la sauvagerie des combats sur les plages et dans la jungle des îles du Pacifique à l'apocalypse nucléaire qui s'abat sur le Japon en août 1945.













Article modifié le 24 février 2019.


Sources principales:
Battle of Okinawa (Wikipedia.org)
US Army in the WWII, "Okinawa, the Last Battle" (Ibiblio.org/HyperWar)

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